Retour d’une pièce de Gisèle Vienne. Nous sommes dimanche et ce sont bientôt les fêtes. Il est 19h30. La beauté du spectacle tenait dans ses énigmes, dans sa force de dérangement –celui de quelques dialogues fragmentés, celui de trois corps dansant, dérivant dans une nuit sans fin, dans un brume permanente traversée par des visions et des lignes de lumières.
Adèle Haenel avait lu, après les applaudissements, un texte demandant un cessez-le-feu à Gaza. Dans le métro, sur la 5. Nous venons de passer la station Jaurès, un grand homme noir monte dans le wagon voisin. Mon regard est attiré par la couverture rose qu’il tient sous le bras. Je la regarde quand soudain, juste au-dessus, un briquet s’allume ; la flamme ne s’éteint pas, elle capte mon regard. L’homme a penché son visage, jusqu’à sa main qui tient une pipette de verre. Il aspire la fumée qui s’en dégage.
Assis au milieu de nous, dans ce métro qui roule dans le centre de Paris un homme fume du crack. Personne ne bouge. On ne bouge pas, on reste là, bien assis… Indifférents ? Médusés ? Terrifiés ? On a lu des articles, entendu des reportages, des témoignages, des membres d’associations. Rien ne se passe. La rame se remplit de nouveaux voyageurs chargés de paquets, je ne vois plus la flamme, je perds l’homme ; je reprends ma conversation. Je suis arrivé, je descends.
Philippe Artières