Daniel Defert est mort

Dans l’après-midi, mardi 7 février, Daniel Defert est mort à l’hôpital Cognacq-Jay, où il était hospitalisé depuis un mois. Son compagnon, Jamil, était là, comme tous les jours, à ses côtés. Daniel est notre ami. Nous parlions fréquemment du site, et pour VIF, il y avait en profondeur le souvenir et l’envie de lui être fidèle.
C’est Daniel qui nous avait dit souvent : « Le malade n’est pas le problème, mais une partie de la solution. » Ou encore : « Écoutons, accumulons du savoir avant de parler ou d’agir. »
Ce qu’il a fait avec la création de l’association AIDES, à l’automne 1984, quelques mois après la mort de son compagnon Michel Foucault : donner la parole aux premiers touchés, mais aussi imaginer ces « volontaires », militants nouveaux qui allaient accompagner et aider les malades du sida, tout en portant leurs paroles comme leurs souhaits.
Daniel avait eu bien d’autres combats, d’autres histoires. Nous y reviendrons plus tard dans VIF, mais aujourd’hui nous voulions apporter quelques regards, donner à voir quelques images, laisser entendre aussi sa voix.

VIF

Élie Kagan

La photo a été prise par Élie Kagan le 16 janvier 1972, dans le passage qui mène de la rue Saint-Honoré à la place Vendôme. On reconnaît au premier plan Alain Jaubert, Gilles Deleuze, puis derrière Michel Foucault, Jean-Paul Sartre, Michelle Vian ; le grand homme seul derrière est l’écrivain Claude Mauriac. Sur la droite de l’image, il y a une silhouette dans un manteau de peau retournée, floue car en mouvement. C’est Daniel Defert. La veille, des prisonniers se sont révoltés à la prison Charles-III de Nancy et ont occupé les toits. Les membres du Groupe d’information sur les prisons dont Michel Foucault, Jean-Marie Domenach et Pierre Vidal-Naquet ont annoncé la création une année plus tôt ont décidé de tenir une conférence de presse sauvage à la Chancellerie, de s’inviter chez René Pleven ministre de la Justice d’alors, place Vendôme. Foucault va lire la lettre ouverte des détenus de Nancy et les revendications des prisonniers révoltés. Daniel Defert a pensé et organisé l’opération ; s’il se tient comme en marge, ce n’est pas par discrétion mais parce qu’il sait que sa réussite est fragile ; il veille au bon déroulement de l’action et guide les acteurs dans un mouvement aussi inquiet qu’efficace. Il orchestre et met en scène, comme son ami Patrice Chéreau. Mais il ne s’agit pas de théâtre ici, mais de faire entendre clairement un discours inédit, de se faire le relais de la dénonciation de l’intolérable, et le moindre détail compte. Daniel Defert a cette attention permanente à être au plus près de la parole de l’autre, à la relayer sans la trahir. Il sait que de cette précision dépend l’efficacité politique de la mobilisation. L’action comme pensée.

Philippe Artières

Écouter aussi l’hommage de Nicolas Demorand sur France Inter

Voir l’entretien avec Christine Ockrent, le 4 novembre 1988