Crise de la psychiatrie : l’éthique pour regarder les trains passer…

Mai 1968 (affiche anonyme)

Bonne nouvelle, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) s’est penché – pour la première fois de son histoire vieille de plus de quarante ans – sur la crise de la psychiatrie. Mauvaise nouvelle, il reste sur le bord de la route, et n’a pas grand-chose de plus à en dire que les autres instances qui depuis dix ans multiplient les rapports (vingt rapports en dix ans). Comme si nous n’étions tous capables que de dresser le constat d’une crise sans précédent et de lâcher quelques recommandations sans effet.

Commençons, quand même, par la bonne nouvelle. Ainsi, ce 27 janvier, en face de l’Hôtel Matignon à Paris, dans les locaux de la Fondation pour la recherche médicale, et alors que la santé mentale est désormais érigée grande cause nationale pour l’année 2025, le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé a publié son Avis 147 : « Enjeux éthiques relatifs à la crise de la psychiatrie : une alerte du C.C.N.E. »
Un constat de bon sens : « Malgré une prise de conscience croissante de son importance, le secteur psychiatrique demeure fragile. La psychiatrie qui constitue un pilier essentiel de la prise en charge clinique des souffrances psychiques les plus complexes, est confrontée à des défis majeurs : conditions d’accès dégradées, pénurie de moyens, inégalités territoriales marquées. »Et encore :« Cette situation engendre de graves répercussions, tant pour les patients que pour leurs familles, et plus largement pour la société dans son ensemble. La fragilité de la psychiatrie révèle un paradoxe insoutenable : alors que les besoins augmentent, les moyens restent insuffisants, amenant à une saturation complète du système de soins. Cette crise dépasse la question des soins, c’est un signal d’alarme pour une société qui sous-estime encore l’impact de la souffrance psychique », a expliqué ainsi Angèle Consoli, professeure de psychiatrie et une des rapporteuses.

Second volet, que faire ? Face à cette crise, le CCNE appelle « à la mise en œuvre rapide d’un Plan psychiatrie », qui reposerait sur trois priorités stratégiques : « garantir un accès à des soins psychiatriques dignes et renforcer la vigilance autour de la santé mentale de tous » ; mais aussi, « lutter contre la stigmatisation et l’exclusion des personnes vivant avec des troubles psychiatriques ». Et enfin, « renforcer la formation et la recherche dans toutes les disciplines qui concourent la prise en charge psychiatrique. » Pour finir, ce rappel que « les soins psychiatriques ne peuvent être appréhendés uniquement sous l’angle des soins individuels : ils doivent être envisagés comme une question collective, intégrant les dimensions sociales, épidémiologiques et politiques des souffrances contemporaines »… Et cette conclusion : « Répondre à la crise de la psychiatrie exige bien plus qu’un simple ajustement des moyens. Il faut une mobilisation coordonnée, portée par une volonté politique forte, qui fédère les institutions, les professionnels et la société civile autour d’un projet clair : replacer la dignité humaine et la santé mentale au cœur de nos priorités. »

Parfait. Et maintenant ? Le mois dernier, c’était un rapport du Sénat qui disait peu ou prou la même chose. Peu auparavant, il y avait eu une mission flash, puis les propos forts du Premier ministre de l’époque, Michel Barnier. Bref, une succession de prises de positions, toutes assurément utiles. Mais n’est-on pas arrivé à un moment où l’engagement devrait primer sur l’énoncé d’un simple constat ? Peut-on se contenter de ces coups de colère à répétition ? Par exemple, les équipes de pédopsychiatrie continuent de travailler alors qu’elles donnent des rendez-vous à dix-huit mois à des adolescents en danger; est-ce une pratique bien éthique ? Des secteurs de psychiatrie fonctionnent, parfois, sans le moindre psychiatre, est-ce bien normal ? D’autres équipes continuent d’attacher ou d’isoler des patients, faute, disent-elles, de moyens humains, « et dans la souffrance psychique ». Certes… Mais est-ce toujours éthique que de continuer à prodiguer « des soins dégradés » ? N’y a-t-il, en somme, rien d’autre à faire que de se plaindre et d’énoncer, par exemple, que le premier centre de pédopsychiatrie en France – celui de l’hôpital la Pitié-Salpêtrière – fonctionne avec 20% de lits fermés ?

C’est à ces questions-là que l’on aurait aimé que le Comité d’éthique réponde. Quels sont les leviers éthiques que l’on pourrait actionner pour que cessent ces désastres cliniques ? Faut-il aller vers des actes de ruptures, ou bien se réfugier vers des expériences locales en attendant des temps meilleurs? Collectivement, les professionnels de la psychiatrie peuvent-ils se contenter de se plaindre sur le manque de moyens et regarder le soir des documentaires sur la crise de la psychiatrie ?

On attendait des pistes, marquées du signe d’un éthique de l’engagement pour essayer de casser ce fatalisme, et voilà qu’après ce vingt-et-unième rapport, on les attend toujours.

Éric Favereau