Chroniques de la vie vieille

Écrites sous forme d’histoires courtes, ces chroniques racontent ce que les nonagénaires (ou presque) d’aujourd’hui souhaitent donner à voir et à entendre de ce qui les anime, leurs craintes, leurs joies, leurs attentes, leur vie au quotidien. Des histoires anonymes et méconnaissables, publiées avec l’accord des intéressés pour que, dans le droit fil des objectifs de La maison vieille, ce continent qui reste si mal connu de la (grande) vieillesse le devienne un peu moins.  

La tuberculose 

Cela avait été la grande histoire de sa vie. Cette maladie qu’elle avait attrapée si jeune, cette jambe qui lui avait fait si mal. Elle avait été clouée au lit pendant six longues années. De 10 à 16 ans. On l’avait placée dans un sanatorium tenu par des sœurs. Elle y avait été choyée, mais sa mère ne la visitait jamais. Elle ne l’avait jamais aimée, disait-elle. Ni désirée d’ailleurs. Le père ? Elle n’en parlait pas, on ne savait pas si pour elle il avait jamais existé. C’était ainsi. À chacun sa vie. Au sanatorium, elle y était entrée en 1940, c’était la guerre. Pendant toutes ces années, elle n’avait suivi aucune scolarité. De tout cela, elle disait : « Je n’ai jamais eu beaucoup de chance dans la vie. » 

C’était là que commençait la conversation, toujours, à chaque nouvelle rencontre. Petite, toute bossue mais jolie encore, coquette et un brin sophistiquée à 90 ans passés, de magnifiques yeux bleus, qu’elle savait mettre en valeur avec des petites perles d’améthyste montées en boucles d’oreilles. Son intérieur aussi était raffiné, de jolis meubles, quelques tableaux, des bibelots probablement chinés au cours des années dans les brocantes avoisinantes, une grande baie vitrée donnant sur un petit jardin bien entretenu, planté d’un seul et grand arbre où nichaient les oiseaux qui étaient sa principale compagnie. Avec le chat du voisin. « C’est vrai que je suis un peu seule. Je ne vois pas grand monde. Le matin, quand je me lève, je commence par nourrir le chat. Puis, je vais donner de l’eau aux oiseaux. J’aime les oiseaux. »   

Je voudrais bien m’en aller 

De son enfance un peu cassée, elle gardait de lourdes séquelles. Physiques d’abord. Elle avait toujours eu du mal à marcher. Avec la crainte que sa jambe si abîmée par la maladie ne casse un jour. « Les médecins sont formels : si c’était le cas, je ne pourrai plus jamais remarcher. » Psychologiques aussi. Peut-être était-ce d’avoir appris si jeune à vivre seule avec elle-même. Seule, elle l’était terriblement. Sans en souffrir tant que cela : « Je ne suis pas très liante. Cela ne m’intéresse pas beaucoup de voir les gens. » Elle avait eu un grand amour dans sa vie. Et un fils aussi. L’un et l’autre étaient morts. Il n’y avait personne d’autre. Deux petits-enfants mais qui avaient été élevés loin d’elle, qu’elle ne connaissait ni ne chérissait. « Mais non, je ne suis pas triste. Juste, je voudrais bien m’en aller. Je n’ai plus vraiment envie de vivre. Cela fait longtemps que cela venait parfois. Maintenant, c’est tout le temps. » 

Partir ? Elle en parlait déjà il y a dix ans. Elle avait même fait des démarches pour savoir comment s’y prendre le jour venu. « Pourquoi l’euthanasie n’est-elle pas légale en France ? On devrait avoir le droit, tout de même. »  

En attendant, j’avance 

À 85 ans, elle s’était réveillée un matin avec une boule au sein. « J’ai tout de suite su que c’était un cancer. Je suis allée consulter. Je ne voulais rien faire, juste savoir. Mais le médecin m’a convaincue. Elle m’a dit que si je ne faisais rien, j’allais beaucoup souffrir. Alors j’ai accepté l’opération. Je ne regrette pas. J’ai bien récupéré. Je me suis rééduquée toute seule. En mettant des bûches dans mon feu. » 

Mais cinq ans plus tard, elle était devenue fatiguée de lutter. « En fait, je suis lasse. Je ne marche presque plus. Je ne vais plus faire mes courses. J’ai une petite voisine qui me les porte. Oui, cela m’arrive maintenant de m’ennuyer un peu. Et même de m’endormir dans la journée. Je déteste cela. Ce que je crains par-dessus tout, c’est la dépendance. J’en ai trop souffert. Plus jamais. L’incontinence me bouleverserait. Et perdre la tête aussi, je ne le supporterai pas. Tout ce qui arrive avec la vieillesse. Heureusement, il y a le suicide. Mais il ne faut pas se louper. En attendant, je ne me pose pas de questions. J’avance. » 

Véronique Fournier