Cherche désespérément… politique du médicament

1 – Les malades, voilà le problème

Après des décennies d’inaction, cela semble remuer du côté du « bon usage du médicament ». Enfin, on fait savoir que cela pourrait devenir une préoccupation. Un plan d’action ministériel, du moins un groupe de travail est en cours de constitution. Même si le passé nous a à plusieurs reprises échaudés (souvenons-nous des colloques organisés au ministère de la Santé par… l’industrie pharmaceutique), on ne peut que s’en réjouir. Tant d’années à ne rien faire ou presque face au désastre sanitaire que constitue en France la mauvaise utilisation des médicaments : plus de 100 000 hospitalisations évitables et 8 000 morts injustifiées chaque année pour une gabegie totalisant 10 milliards d’euros, dans la plus parfaite indifférence ou la volonté d’inaction.

Reste à ne pas se tromper de cible, à dresser le bilan et à analyser les causes et les moyens d’action, et à ne pas faire porter le chapeau, une fois de plus, aux seuls consommateurs alors qu’il s’agit à plus de 90% de prescriptions inappropriées ou non justifiées. En ce sens, la campagne actuelle de communication éducative de l’Agence du médicament (ANSM), si elle reflète l’axe choisi par le ministère de la Santé, n’est pas rassurante. Une fois de plus, c’est bien connu, c’est la faute des malades qui, ne comprenant rien à rien, font n’importe quoi alors que médecins, pharmaciens et autorités sanitaires, qui rivalisent de bon sens et de perfection, voient leurs efforts réduits à néant par des immatures.

La recette ne date pas d’hier. Le cabinet de communicants est, dit-on, très satisfait de ses messages chocs ! : « Une perceuse, ça de prête entre voisins. Pas les médicaments », « À Noël, on échange et on partage de bons moments mais jamais ses médicaments ». Les observateurs objectifs de la gabegie meurtrière que représente le mauvais usage du médicament en France ont des raisons d’être moins enthousiastes.

Mais quand ouvrira-t-on le dossier des prescriptions inappropriées pour s’intéresser aux véritables causes de ce scandale sanitaire ? L’emploi du mot « scandale » paraissant justifié car, contrairement à d’autres, ce désastre serait en bonne partie évitable par quelques mesures assez simples. Mais qui le veut vraiment ?

2 – Un marronnier peut cacher la forêt

Le marronnier de la liste des « médicaments à écarter pour mieux soigner » concoctée par la revue Prescrire est sorti, comme chaque année, avant les fêtes de fin d’année. Peu de changements pour cette édition 2024, mais une couverture médiatique non négligeable, un peu le rituel Guide Michelin, sans qu’au final rien ne bouge vraiment. Pour preuve : cette black list des 105 médicaments « plus dangereux qu’utiles » est pratiquement la même que celle de 2023 et, gageons-le, de ce que sera celle de 2025 ; donc sans grande influence sur les prescriptions, les consommations et les décisions sanitaires. En matière de médicament, on a l’habitude : ce qui est juste a généralement peu d’écho.

Reste que, là encore, on aborde le problème par son petit bout. Ces 105 médicaments, « au rapport bénéfice-risque défavorable », doivent générer moins de 5% des hospitalisations et décès liés à des effets indésirables en France. La priorité d’action n’est clairement pas ce petit lot de médicaments dangereux ou prétendus tels mais ceux qui le deviennent parce qu’ils sont, en masse, prescrits ou consommés en dehors de toute logique ou précaution.

Détail amusant, la liste de Prescrire cloue, à juste titre, au pilori une dizaine de produits (dont 4 antidépresseurs et 2 antidiabétiques) que le ministère de la Santé avait fait figurer dans sa liste des 450 médicaments essentiels publiée en grande pompe en juin dernier. De même pour le célécoxib (Célebrex®) proposé pour la poubelle alors que cet antiinflammatoire des laboratoires Pfizer avait été jugé, pour d’obscures raisons, être une révolution thérapeutique par les autorités sanitaires, au point de lui accorder un prix plus de dix fois supérieur à celui de ses concurrents aujourd’hui considérés bien meilleurs.

Comme quoi, il reste du travail à faire.

Bernard Bégaud