Assisterait-on à un renversement de l’air du temps sur la place de l’usager dans le système de santé ? Il y a encore quelques temps, le patient était en effet considéré comme le promoteur du changement, source de progrès , sa voix étant annoncée comme le passage obligé pour toute réforme du système de santé. Et pour reprendre l’expression de Daniel Defert, fondateur de l’association contre le sida, Aides, « le patient n’était pas le problème mais une partie de la solution ».
Et voilà que depuis peu, les pouvoirs publics le mettent en accusation. Et ils le font en douce, l’air de rien, sans le dire ouvertement… Les problèmes de notre système de santé ? Ce serait maintenant la faute du patient…. Exemples : nous, malades, consommons trop de médicaments. À qui la faute ? À nous pardi… Ce gouvernement décide donc de nous le faire payer, en augmentant les franchises sur chaque boîte achetée. Le gouvernement le fait, alors que les études de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) ont montré que cette mesure n’avait que des effets pervers, favorisant surtout les inégalités sociales de santé, et au final le coût de la santé. Mais voilà, il faut « responsabiliser » le patient qui n’en ferait qu’à sa tête, adorant manger du médicament comme des sucettes. Bizarrement, ledit gouvernement oublie le mésusage massif dudit médicament qui, outre le fait qu’il provoque près de 6 000 morts par an, ce mésusage coûte une fortune aux comptes publics, entre les patients qui prennent des médicaments dont ils n’ont pas besoin (ou qui n’ont aucun effet thérapeutique), et ceux qui ne reçoivent pas les bons médicaments. Cette non-pertinence de la prescription n’est pas le fait des patients eux-mêmes, mais bel et bien des prescripteurs. Il n’empêche, les pouvoirs publics ne font rien sur ces points.
Et maintenant… la taxe lapin
Et cela ne s’arrête pas là. Cette semaine, le Premier ministre a annoncé la création d’une taxe lapin de 5 euros que devra payer le patient s’il ne vient pas à un rendez-vous qu’il aurait pourtant pris. Là encore, c’est la faute du patient qui s’amuserait trop sur Doctolib, accumulant des rendez-vous comme d’autres le font avec les séries vidéo. Certes, on ne peut nier que ces rendez-vous non respectés constituent un problème désagréable pour nos médecins libéraux, mais cette mise en accusation des patients est déroutante. Comme si dans ces lapins résidait la cause de l’explosion des frais médicaux ou la multiplication de listes d’attente interminables chez les spécialistes. Faut-il conseiller à nos experts gouvernementaux l’entretien avec le chercheur en économie comportementale Nicolas Jacquemet, économiste, expert en comportements, paru dans Libération qui souligne l’effet inverse que risque d’induire cette taxe lapin ? Il dit ainsi : « Sur la base des travaux sociologiques existants, on a toutes les raisons de penser que la « taxe lapin » soit contre-productive et que le nombre de rendez-vous non honorés augmente plutôt que diminue. Une étude a déjà été menée sur une mesure similaire de lutte contre le retard des parents qui récupèrent leurs enfants à la crèche. Lorsqu’une sanction financière de trois dollars [expérimentation dans une crèche d’Haïfa, ndlr] a été mise en place pour éviter au personnel d’attendre des heures chaque soir, le nombre de retards a paradoxalement augmenté. » Bizarre, donc cette mesure. Et d’autres exemples s’il en manque… Le déficit de la Sécu ? C’est encore la faute aux resquilleurs, voire aux amoureux en particulier des arrêts maladies. Le malade n’est pas seulement coupable, il est retors.
Drôle de politique de santé de nos gouvernants, dans l’hypothèse, bien sûr, où il y en ait une. Comme si les pouvoirs publics cherchaient surtout à inverser la charge de la preuve. Eux ne sont responsables en rien ni des dérapages, ni des déficits. C’est la faute aux patients et nos politiques, eux, conservent, quoi qu’il en coûte, leurs mains propres.
Éric Favereau