
Je vous dois combien, docteur ? On n’en sait rien. C’est devenu illisible, incompréhensible, arbitraire, inégalitaire. Qui sait se repérer dans les dépassements d’honoraires chez le médecin ? On nous avait dit que les mutuelles nous rembourseraient, et c’est finalement en grande partie faux. Et bien sûr, au bout du compte on va demander aux patients de payer un peu plus car il faut le « res-pon-sa-bi-li-ser ». Bref, rien ne va plus et dans ce jeu à somme nulle, le rapport du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM) qui a été rendu public fin septembre est comme un arbitre. Il met les pieds dans le plat des prix des consultations médicales, système né en 1980 sous Raymond Barre et qui devait permettre à une petite partie de la médecine de ville d’arrondir ses revenus. Aujourd’hui ledit système n’a que des défauts.
L’explosion du secteur 2
Reprenons. Selon le HCAAM, les dépassements d’honoraires chez le médecin vont donc bien, très bien, ils n’ont même jamais été aussi en forme. Et cela devrait continuer. Ainsi, le montant total des dépassements d’honoraires des médecins spécialistes a atteint 4,3 milliards d’euros en 2024, soit une forte accélération depuis 2019 (+5% par an en valeur réelle, hors inflation).
Les raisons ? D’abord une hausse de la part du secteur 2 (qui permet aux médecins de pratiquer des dépassements d’honoraires) parmi les spécialistes : en 2024, 56% des spécialistes sont en secteur 2 contre 37% en 2000. Aujourd’hui, lorsqu’ils s’installent, les trois quarts des jeunes spécialistes choisissent le secteur 2 : la proportion était des deux tiers en 2017. Ce qui est énorme. Ensuite, depuis 2020, on assiste à une hausse des taux de dépassements et à une baisse de la part d’activité à tarifs opposables. Deux facteurs qui devraient conduire à ce que la dynamique des montants de dépassements se poursuive dans les années à venir.
Qu’en déduire ? D’abord les dépassements ne sont pas un complément, ils deviennent une part importante des revenus des médecins. Ils représentent aujourd’hui plus du tiers des revenus professionnels pour certaines spécialités. Ensuite, les situations sont très contrastées au sein de chaque spécialité et au sein de toutes les spécialités, on constate une forte dispersion des taux de dépassement pratiqués. Dix pour cent (et parfois près de 20%) des spécialistes appliquant les dépassements les plus élevés dépassent souvent le double des dépassements moyens de leur spécialité. « À titre d’exemple pour les 6 700 chirurgiens en secteur 2, les dépassements sont en moyenne de 58% des “tarifs sécu”. Mais pour 10 % d’entre eux, le dépassement est de 184 %, c’est-à-dire que le tarif facturé représente presque trois fois le “tarif sécu” », note le rapport.
La propension des spécialistes à appliquer des dépassements élevés croît avec l’âge des praticiens et avec le niveau de vie du territoire sur lequel ils exercent : les niveaux de dépassements sont ainsi particulièrement élevés dans les grandes métropoles. Et ils sont d’autant plus forts que les médecins en secteur 1 sont moins nombreux sur leur territoire et dans leur spécialité, ce qui est un comble. « On constate, enfin, pour l’ensemble des spécialités, que les praticiens appliquant les dépassements les plus élevés ont une activité plus réduite que leurs confrères. La possibilité d’appliquer des dépassements d’honoraires élevés facilite l’installation dans les zones métropolitaines à niveau de vie élevé où, de fait, la part de spécialistes en secteur 2 est nettement plus élevée. Les dépassements d’honoraires contribuent donc à aggraver les inégalités territoriales dans la répartition des spécialistes. Les dépassements d’honoraires peuvent induire un reste à charge élevé pour les patients. »

Au détriment des assurés
Côté patients, ce n’est évidemment pas sans effet. « Ainsi, pour une intervention de prothèse totale de la hanche, près de la moitié des patients s’acquittent de dépassements (630 € en moyenne et plus de 1 000 € dans 10% des cas). De plus, sur l’ensemble de l’épisode de soins qui entoure cette intervention, près de 80% des patients sont exposés à au moins un dépassement. En cumul, cela fait alors 700 € en moyenne et plus de 1 400 € pour 10% de ces patients. »
Les dépassements d’honoraires des médecins sont pris en charge à environ 40% par les complémentaires santé, et représentent au total 14% du reste à charge des ménages. Bref, le reste à charge est élevé. « Les ménages les plus modestes couverts par la complémentaire santé solidaire (CSS) sont en théorie protégés contre les dépassements puisque les praticiens ont l’interdiction de leur facturer des dépassements d’honoraires. Mais l’effectivité de cette protection est atténuée par le fait que beaucoup d’assurés ne font pas valoir leurs droits. » Pour les autres assurés, y compris en affection de longue durée (ALD), la prise en charge par les complémentaires santé est variable selon le type de contrat et rarement intégrale. Notons, enfin, une exposition aux dépassements inégale et non lisible. C’est le maquis. « L’exposition aux dépassements est ainsi très inégale entre les assurés : elle varie selon le lieu (dépassement par patient 4 fois plus élevé à Paris qu’en moyenne nationale), et selon la consommation de soins : les 70-79 ans paient deux fois plus de dépassements que les 30-39 ans. »
Au final, pour le HCAAM, les dépassements d’honoraires sont le symbole des dérives du système. « Ils sont variables, non prévisibles, suscitent une incompréhension face à un système difficilement lisible. Et très logiquement, les trois quarts de la population vivant en France estiment que les dépassements d’honoraires pratiqués par certains médecins ne sont pas justifiés. » Bref, pour une fois, ce n’est pas… la faute du patient.
VIF