C’est évidemment un pari. Comme si les Vieux, les Inégaux et les Fous partageaient une malédiction commune ! Ne parlons pas des Vieilles, des Inégales ni des Folles…
Quel lien entre cette frêle silhouette qui marmonne – en Ehpad et en temps du Covid – « Je ne veux pas être enfermée toute seule dans ma chambre » et ce jeune cultivateur ou banlieusard, en plein désert médical, sans accès à la santé ? Quel lien avec cette femme que l’on a mise à l’isolement, attachée jour et nuit, dans une chambre de psychiatrie où tout est fixé au mur parce qu’elle ne cesse de s’agiter ?
Aucun, bien sûr, si ce n’est un drôle d’espace, de taille variée, qui unit ou sépare l’intime et le collectif, le normal et le pathologique, la médecine et la santé publique. Avec parfois ce point commun : le vieux, si souvent seul, isolé, contraint à vivre dans un lieu collectif qui ne lui ressemble pas ; le fou, lui aussi isolé dans sa tête, malheureux, perdu, qui cherche des mots à partager ; l’inégal, tout seul lui encore, faute de réseau et de soutien, qui n’a d’autre choix que de faire avec sa condition sociale, géographique, historique, et l’inégalité considérable de mourir cinq, dix, voire quinze ans plus jeune que les autres. Qui s’en soucie ?
V.I.F. se veut comme une salle d’attente, ouverte à tous vents, mélangeant les portes d’entrée, pour débattre des questions de santé qui touchent les plus fragiles, ceux dont le système ne se préoccupe guère. Raconter, interroger, rêver, s’énerver, c’est une façon de prendre soin d’eux, et de nous. Nous faisons le pari de croire qu’il faut parler. En parler à plusieurs voix, ensemble. Raconter les oasis qui émergent, comme les trous noirs qui persistent. Évoquer les confidences, les murmures, les cris étouffés, les traces d’hier comme les silences qui durent, ou les mots que l’on garde pour soi.
Un espace pour dire ce grand corps, parfois malade, souffrant de ces inégalités collectives, institutionnelles, organisationnelles et géographiques.
Éric Favereau pour le comité de rédaction