Aurélien Rousseau, le ministre de la Santé idéal ?

Dessin de David Mangin

Quelle bonne idée d’avoir nommé Aurélien Rousseau au ministère de la Santé et de la Prévention !

Voilà une personnalité attachante, chaleureuse, efficace, pragmatique, avec en plus beaucoup d’humour. Cet ancien communiste – proche ensuite des socialistes, aujourd’hui donc au service d’Emmanuel Macron – s’amusait ainsi à dire lorsqu’il a quitté son poste de directeur-adjoint au cabinet de Manuel Valls, alors Premier ministre : « Je ne savais pas que je serais en charge de mettre fin à la social-démocratie »…
Bref, le ministre idéal, drôle et compétent. « Aurélien est extrêmement brillant, il m’a épaté. Il a une capacité à prendre un dossier, à le décortiquer, puis à trouver des axes d’actions », nous expliquait ainsi Nicolas Revel, aujourd’hui directeur des hôpitaux de Paris. Nicolas Revel, qui fut son mentor, l’avait poussé à présenter l’ENA et, tout récemment, à accepter d’être nommé à la tête du ministère. Et cela alors que le bruit courait qu’Aurélien Rousseau aurait refusé la demande présidentielle, prétextant vouloir prendre du recul. Une autre rumeur avait également couru, affirmant qu’il avait quitté son poste de directeur de cabinet d’Élisabeth Borne pour ne pas endosser un virage à droite du gouvernement. Mais on le sait d’expérience : les rumeurs sont souvent inexactes.

Il n’y a plus de ministre miracle

En tout cas, le choix est là, le voilà avenue de Ségur. Et tout le monde est content. Question subsidiaire : est-ce une chance pour le monde de la santé ? Mais au fait, à quoi sert un ministre de la Santé ?
Premier constat : des personnalités de talent comme Aurélien Rousseau ou Pap Ndiaye semblent se croire capables d’être plus forts que les circonstances. Implicitement, ils estiment que leur seule présence peut provoquer le changement. Se trompent-ils ? On peut le craindre. Il n’y a pas, ou il n’y a plus de ministre de la Santé miracle. Quel que soit le choix de la personnalité, nous sommes dans un moment de fractures où les valeurs de soins, de solidarité, mais aussi les valeurs scientifiques sont mises à mal. De bonnes paroles ne peuvent suffire pour redonner sens à cet univers déboussolé. Seules des mesures fortes, de rupture, peuvent changer la donne aussi bien à l’hôpital qu’en ville. Des choix drastiques en termes budgétaires comme en termes de priorités de santé sont devenus nécessaires. Le saupoudrage et la gentillesse ne sont plus de saison. Le monde de la santé n’a pas besoin d’un nième nouveau directeur d’agence sanitaire comme ministre. Il y a des rapports de force à établir, des priorités à affirmer. Faut-il, par exemple, continuer de verser des sommes faramineuses à des firmes pharmaceutiques pour s’offrir des médicaments dont l’intérêt clinique est limité ? Comment et pourquoi n’a-t-on tiré aucune conséquence de la gestion du Covid en termes de priorités de santé publique ? Quel avenir pour la fonction de médecin traitant ? Quelles frontières claires installer entre les pratiques qui relèvent du personnel soignant et celles du personnel médical ? Quels leviers pour s’attaquer aux inégalités de santé ? Et quid du mélange des genres entre cabinets de conseils et cabinets du ministre, tous nourris aux mêmes concepts ?

Un super directeur

Sur tous ces points, sur cette santé de demain, à quoi peut bien servir un ministre de la Santé, aussi sympathique soit-il ? Rappelons d’abord que sous Macron, les ministres, sans poids politique, n’ont aucun espace. Ils sont comme des accompagnateurs. En matière de santé, c’est encore plus exact. C’est le tout ou rien. En tout cas, c’est au-dessus – Matignon et l’Élysée – que les choix se font, comme on l’a encore vu sur l’augmentation du travail de nuit. Or Macron a aujourd’hui d’autres enjeux, et bien d’autres objectifs. De plus, sa politique passée en matière de santé a été une succession d’annonces, aussi vite prononcées que laissées sur le côté. Rappelons-nous le discours de Metz, au tout début du Covid, où il s’engageait à changer de paradigme, et sortir, ainsi, l’hôpital de la rigueur.
Dans ce contexte, Aurélien Rousseau, aussi habile soit-il, ne sera, au mieux, qu’un super directeur. C’est déjà bien, mais c’est tout. Il va distribuer des douces paroles, dire que les choses ne vont pas bien mais quand même un peu mieux qu’hier, et qu’en tout cas lui, ministre, est là pour écouter et que, soyez-en sûrs, il a bien compris que la situation était difficile. Il a d’ailleurs commencé à faire le job. Lors d’une visite aux urgences du CHU de Toulouse, mi-août, Rousseau a reconnu que la situation n’était pas « satisfaisante », tout en soulignant des progrès par rapport à l’an passé. « On a réussi à anticiper mieux, à réguler mieux, à coopérer mieux : on n’a pas aujourd’hui de services d’urgences qui ferment d’une heure sur l’autre. Ça ne veut pas dire que les problèmes sont levés, mais c’est déjà une brique importante. » Et tout à l’avenant… Les déserts médicaux ? Il va répéter que la contrainte n’est pas une solution. Sur les inégalités de santé ? Silence. Plus déroutant, Rousseau a fait la sourde oreille sur la question des liens d’intérêts. Ainsi, a-t-il réagi comme un banal politique quand, lors de sa nomination, certains se sont étonnés du mélange des genres avec la présence de sa femme comme directrice-adjointe de l’Assurance-maladie. Il a noté qu’il assurait avoir pris les devants après un échange avec le Secrétariat général du gouvernement. Il a même déclaré au journal Le Monde : « Ce soupçon a été extrêmement pénible, même si je ne parlerai pas de violence, je sais qu’il y a des choses beaucoup plus graves », a-t-il ainsi concédé. « Mais ça a été une plongée immédiate dans ce que peut être un déferlement. » Réponse bien égocentrique, car les conflits d’intérêts sont bel et bien là. Mais non, tout va bien.

Cela vous chatouille ou cela vous gratouille ?

Bref, avouons-le, nous en sommes attristés. On l’avait connu original et personnel. Le voilà devenu classique. Son directeur de cabinet est un ancien directeur de cabinet de Marisol Touraine que tout le monde estime « très compétent ». C’est un même monde qui se suit, celui d’hier et celui d’aujourd’hui. Il s’échange les postes, tout le monde se tenant pour la suite de sa carrière. Et ce n’est pas faire injure à Aurélien Rousseau de prédire qu’il ne va pas déroger à la règle. ll est là. Il se battra, sans beaucoup de succès, pour que l’Ondam soit le plus favorable, mais Bercy aura le dernier mot. Il s’opposera, peut-être, en toute discrétion au doublement de la franchise sur les médicaments, mais publiquement ne dira rien. Il se précipitera, au contraire, pour dire combien tout sera bien mis en œuvre pour contrer la prochaine épidémie de bronchiolite, que le personnel soignant est admirable, etc. Notons d’ailleurs que dans son livre, publié au lendemain du Covid et alors qu’il venait de diriger l’ARS Île-de-France, il n’avait pas eu un mot sur la crise des masques. Il sait se taire. Il expliquera avec pédagogie les plans Canicule, puis ceux des grands froids… Il abordera sûrement la question de la vaccination. Il le fera sûrement très bien. Comme il a fait le job sous la canicule.

Le ministre de la Santé est ainsi, il est devenu un édredon. Il reste, néanmoins, co-responsable de maintenir l’illusion que les pouvoirs publics ont une politique de santé.

Éric Favereau