Associations de malades, où cela fait-il mal ?

La démocratie sanitaire survivra-t-elle au Covid ? Un de ses acteurs, les associations de malades, ressortent de cette période, au minimum frustrées et marginalisées, mais surtout en colère. Pour cause d’urgences épidémiques, elles ont été mises de côté, peu sollicitées, ou alors juste en paroles. Bien souvent leur absence s’est traduite par des erreurs qui auraient pu être évitées.

Affiche de Aides

Ce coup sur la tête reçu par le monde des usagers de la santé est intervenu alors que ces dites associations n’avaient plus trop le vent en poupe. Les années historiques qui avaient vu leur naissance autour du sida étaient révolues. Au début des années 2020, on les entendait moins, certains reprochant même leur institutionnalisation, crime de lèse-majesté pour ce monde de l’engagement. Avaient-elles encore quelque chose à dire, à l’heure où les autorités sanitaires n’arrêtaient pas de répéter qu’il fallait mettre le patient au cœur du système de santé ? Servaient-elles encore à quelque chose ? Étaient-elles juste le faire-valoir d’un système de santé pourtant à bout de souffle ?

Hasard du calendrier, il y a quelques semaines mourait Daniel Defert, qui avait fondé l’association Aides en 1984, lui qui avait imaginé le malade comme réformateur social. Sa mort sonnait-elle la fin d’une époque ?
Nous avons tenté d’y répondre, en interrogeant trois responsables d’associations. Camille Spire, présidente de Aides. Nicolas Brun, aujourd’hui coordonnateur du pôle Protection sociale santé de l’Union nationale des associations familiales et hier un des artisans de la création du Collectif inter-associatif sur la santé (CISS) qui est devenu France Assos Santé. Et enfin, Yvanie Caillé qui a fondé l’association Renaloo, emblème des nouvelles associations avec sa fougue et sa virulence. Elle-même le raconte : « Au départ, l’idée n’était pas du tout de créer une association de malades du rein. Mais le blog a eu un succès immédiat, avec beaucoup de messages, de demandes de patients et de proches. J’ai rapidement mis en place un forum pour que les personnes puissent échanger entre elles. Progressivement et spontanément, ce qu’on appelle aujourd’hui une communauté de patients s’est constituée, avec notamment un noyau dur qui s’est organisé de façon informelle, avant de devenir une association. »

« Dans l’avenir, il y aura plusieurs types d’engagement »

Nicolas Brun (Union nationale des associations familiales)

« D’abord rappelons un constat. La période du Covid a montré que les associations de malades ont été les oubliés de la gestion de l’épidémie, même si les pouvoirs publics ou l’administration ont maintenu de ça et là des liens. Bien des erreurs auraient été évitées si on les avait associées ou simplement écoutées, en particulier sur les difficultés d’accès aux soins. Et ce non-recours aux associations est surprenant. J’en reste étonné car au-delà de la période logique de sidération des premiers mois du Covid, nous avons assisté à un petit monde de hauts fonctionnaires, d’administratifs et de politiques qui ont voulu tout garder et tout gérer entre eux. Même les syndicats de médecins n’ont pas été dans la boucle. On aurait pu penser que les conférences régionales de santé auraient été associées, pour permettre une remontée de ce qui se passait sur le terrain, avec un repérage des bonnes pratiques et des initiatives des uns et des autres. Eh bien non, elles n’ont pas été sollicitées. Ces organisations créées depuis 2002, symboles de l’organisation d’une démocratie sanitaire, auraient pu dire des choses opérationnelles. Elles n’ont pas été actionnées, ou alors bien tardivement. Quant au Conseil scientifique, en dépit du souhait de son président, Jean-François Delfraissy, les associations sont restées sur le bord du chemin. Au final, on a eu l’illustration d’un pouvoir où les corps intermédiaires n’ont pas été actionnés. Et cela n’est pas sans conséquence aujourd’hui, car cela ne favorise pas le dynamisme associatif, laissé ainsi de côté.

Tout n’est pas sombre
Pourtant, tout n’est pas sombre. Il s’est passé des choses. Au sein même de France Assos – qui regroupe les grandes associations –, il y a eu de l’action, avec des réunions tous les jours, deux heures par jour, avec près d’une dizaine d’associations présentes, une dynamique associative qui, certes, n’a pas été visible, mais bien réelle. Que déduire de cette non-visibilité ?
Ne soyons pas naïfs, y compris sur le passé : on sait bien que l’action associative n’est souvent visible qu’autour d’un scandale. Aujourd’hui, le positionnement de nos associations est devenu complexe, dans un contexte sociétal qui évolue avec l’apparition et le développement, par exemple, des conférences citoyennes qui se multiplient. Il y a aussi de nouvelles formes d’engagement, qui s’ancrent sur un temps donné, sur un thème donné, comme on le voit pour le climat. Est valorisé le court terme alors que le travail associatif est sur un temps plus long. Les pratiques donc changent, la visio est de plus en plus présente : moins de rencontres, moins de discussions directes. Sans doute émerge un sentiment que les associations, au regard de ces nouvelles pratiques, sont plus rigides, voire trop rigides dans leur fonctionnement. J’ai cité les conventions citoyennes qui peuvent donner le sentiment que les associations deviennent des acteurs supplétifs, que l’on invite ou pas. Comment, dès lors, reconstruire un travail communautaire avec des formes d’engagements qui ne soient plus les mêmes ? Y a-t-il, aussi un risque d’institutionnalisation pour les associations classiques ? Certes, en grandissant il y a le risque de devenir comme un paquebot, lourd à manœuvrer, moins réactif, mais en même temps les grosses associations sont solides. En plus, il y a la question du financement. Comment ne pas être trop lié à l’État, ni aux industries ? Que faire ? Souvent pour avoir des budgets, il faut répondre à des appels à projets où l’on impose des thèmes. Bref, les causes sont multiples.

Mutualisons nos différences
Dans ce paysage éclaté et en mouvement, au lieu d’opposer les différentes formes d’engagement, essayons plutôt de ne pas absorber, de fédérer, comme l’avait fait au début le CISS. Dans l’avenir, il n’y aura pas un modèle unique de participation, mais plusieurs types d’engagements. On n’a pas trop le choix. Aujourd’hui, soit nous sommes éparpillés, nous sommes trop institutionnels. C’est un défi. Chez les jeunes, il y a une volonté forte d’être acteur, de pouvoir s’exprimer. Soit on devient une accumulation d’individualisme, soit on en profite et on agrège. En démocratie en santé comme dans le social, chacun veut préserver son pré-carré. Il y a toujours une grande réticence à laisser un peu de place aux autres. C’est cette difficulté qu’il faut résoudre : capitaliser sans accaparer. Mutualisons nos différences. On le voit avec l’association Renaloo (pour les malades rénaux), elle a le vent en poulpe, elle fonctionne sur une autre modalité : peu d’adhérents, mais beaucoup d’actions sur les réseaux sociaux, avec le parti pris de parler haut et fort. 
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« On aurait besoin d’une nouvelle loi »

Yvanie Caillé (Renaloo)

« Comment allons-nous ? En lutte. Notre association est une tribune, c’est l’occasion de dénoncer et d’interpeller. Et je n’ai pas peur de l’institutionnalisation. Les patients que je représente sont immunodéprimés, avec des enjeux majeurs de vulnérabilité. Le pouvoir médical, dans le monde des maladies rénales, est encore très fort (et on le voit fortement dans la question de la répartition des greffons). J’ai eu l’impression de servir à quelque chose en portant la voix des malades chroniques, et des malades immunodéprimés. Nous, on a très vite compris que nos patients seraient les plus vulnérables, tous les premiers décédés étaient des patients greffés ou dyalisés. Il y avait urgence. Avec une mortalité de 30% dans les dyalisés, nous étions confrontés à un risque énorme. Donc on a joué un rôle important, pour conseiller les patients. Tous les soirs, il y avait une visio où les patients pouvaient se connecter, s’informer. On a essayé de produire des recommandations. Au tout début, il y avait la question des personnes à risques, fallait-il ou pas qu’elles aillent travailler ? On leur a dit de ne pas y aller, de même leur conjoint. On a eu des retours de médecins qui refusaient de faire des arrêts de travail, on a ainsi collecté des témoignages que l’on a envoyés à Nicolas Revel qui dirigeait alors l’Assurance maladie, et ils ont réagi vite, en quelques jours… Cela a été efficace : en France, d’un point de vue réglementaire, la stratégie au regard des immunodéprimés a été une des plus réactives au monde, nous avons été les premiers à demander une troisième dose. Je n’ai pas l’impression d’avoir perdu mon temps.

Le bilan est mitigé
Pour le reste, il est clair que l’on peut être déçu. La démocratie sanitaire, au début de l’épidémie, a été mise sur le côté. Dans les groupes de travail des Agences régionales de santé, il y avait même des groupes qui fonctionnaient sans le moindre représentant des usagers. Indéniablement, nous avons été écartés. Comme si d’un seul coup la démocratie sanitaire avait semblé superflue. Les personnes qui étaient aux manettes n’ont pas compris l’utilité de l’expérience que l’on pouvait apporter. Mais peu à peu, les wagons se sont raccrochés, et se sont remis à fonctionner.
Le bilan est donc mitigé. D’un côté il y a eu ce mouvement de repli de la démocratie sanitaire, et en même temps, on a parfois pu être écoutés. Et à Renaloo, cela a été une bascule pour nous. Nous avons eu un retour très positif de nos patients, avec une grande confiance qui s’est manifestée. Par exemple, lorsque l’on a lancé trois enquêtes, à chaque fois, nous avons eu entre 2 et 3000 réponses. Et l’on a pu publier les résultats dans une grande revue comme le
British Medical Journal. A-t-on, pour autant, tiré tous les enseignements ? Le problème est que l’on oublie très vite. Dans nos populations vulnérables, le taux revaccination reste mauvais. Rien n’est acquis, je le redis, dans la démocratie sanitaire, il est important d’avoir deux jambes. Et les associations de malades sont variées, elles ont des maturités différentes. En face, depuis la loi de 2002, si les choses ont progressé, tout est lent : dans beaucoup de commissions il y a peu d’écoute et l’on voit encore des commissions départementales d’usagers présidées par des médecins.
Les usagers sont présents dans toute une série d’organismes, mais pour faire quoi ? Tout dépend de l’organisme, tout dépend aussi de la personnalité du représentant. France Assos Santé est critiquée, mais elle a un rôle fondamental sur la formation des représentants, même si son rôle dans le plaidoyer est moins visible. On aurait besoin d’une nouvelle loi, pour de nouveaux droits.
Nous, nous avons maintenant 5 salariés, c’est bien, même si le financement reste compliqué. Les fonds publics sont rares et non pérennes, quant aux financements privés, ils doivent être diversifiés. Nous recevons de l’argent de l’industrie pharmaceutique, cela reste important, mais le problème est qu’aujourd’hui on ne peut pas s’en passer. 
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« La démocratie sanitaire a pris un coup mais elle n’a pas perdu »

Camille Spire (Aides)

« Vous me demandez à quoi sert Aides aujourd’hui ? Certes, nous ne sommes pas assez nombreux pour que notre impact soit individuel, mais notre plus gros impact est sur le pouvoir public et sur l’influence que l’on peut susciter. C’est en termes de plaidoyer que l’on arrive à influencer. Porter la voix des séropos, de celles et ceux qui sont loin de notre système de santé, voilà ce qui nous est essentiel. En cela, Aides n’a pas changé. Et la lettre de septembre 1984 de Daniel Defert reste pour nous d’une absolue actualité, avec les mêmes bases, l’échange et la solidarité.
Reste qu’aujourd’hui, la situation n’est pas plus facile, elle est différente. L’épidémie a changé, le rapport médecin/malade n’est plus le même, les malades savent, les malades sont présents. Pour autant, rien n’est acquis. Comment garder notre côté rebelle ? Je dirais plutôt comment garder notre liberté ? Et si je dis cela, ce n’est pas pour faire joli : nous ne sommes pas un nième acteur de la santé. On le voit fortement actuellement : dès qu’il y a une crise, les mécanismes descendants reviennent à la charge, la démocratie sanitaire disparaît. J’ajouterai d’ailleurs une remarque ; dans les pays qui étaient dirigés par des femmes, la gestion du Covid a été nettement plus réussie. Comme en Nouvelle-Zélande, en Écosse. Nous, on a connu un traitement masculin, selon des principes très masculins ; il y a urgence, on décide, priorité donnée au court-termisme.

Nous n’avons pas su nous faire entendre
Aurions-nous pu, nous association, mieux faire ? On nous reproche d’avoir été silencieux. Ce n’est pas exact, mais nous n’avons pas su nous faire entendre. Nous n’avons pas eu de rapport direct avec le ministère. Ce ne sont pas tant les contacts avec l’administration qui ont failli, mais plutôt au niveau politique. Avec le délaissement des corps intermédiaires, tout le système politique a développé une stratégie faite pour nous infantiliser. Silence, on ne nous dit pas les choses, alors on ne peut pas les écouter.
Oui, la démocratie sanitaire en a pris un coup, mais non elle n’a pas perdu. Elle existe, on ne peut plus en passer, c’est inscrit dans le marbre, mais ce qui existe aujourd’hui doit être réinterrogé et remis en cause. Avec les autres associations, on réussit à avoir une stratégie commune, on travaille bien entre associations.
En même temps, que de regrets ! Avec l’épidémie du Monkeypox, on nous a écoutés, nous étions présents. Et cela a très bien marché. On a été associés dès le début et six mois après, on n’en parle plus, c’est fini. C’est le contre-exemple parfait du Covid. 
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Recueilli par Éric Favereau