Après Pinel, Foucault, le symptôme… Tosquelles !

Une video de Tosquelles au Palais de Tokyo

Il y a eu d’abord le moment Foucault – dont on assimila à tort les travaux sur la folie à de l’antipsychiatrie –, il y eut la redécouverte de Franco Basaglia qui, de l’hôpital de San Giovanni à Trieste, avait fait sortir les patients, et fait adopter en 1978 la loi 180 visant à développer la santé communautaire dans la Péninsule. Mais Basaglia et son cheval bleu disparurent eux-aussi des mémoires pour faire place à la figure de Deligny et de ses lignes d’erre : tous les regards se tournèrent vers les Cévennes. Les éditions L’Arachnéen republièrent magnifiquement tous ses écrits. L’auteur de Graine de crapule fut ensuite balayé par la figure de Frantz Fanon, le psychiatre martiniquais de l’hôpital de Blida qui avait rejoint le maquis algérien. Fanon devint le héros incontournable des Postcolonial studies et la référence obligée pour évoquer les damnés de la terre et autres subalternes.

Ces deux dernières années, publications multiples, expositions, émissions sont consacrées au catalan François Tosquelles et à sa psychothérapie institutionnelle. Tout le monde parle de psychothérapie institutionnelle ou plutôt, le plus souvent, de certaines pratiques que le chef de service de l’asile de Saint-Alban en Lozère développa, celle de sortir des locaux, d’avoir des activités artistiques ou encore de confier aux patient.e.s la rédaction d’un journal interne à l’institution (Trait-d’union).
Cette présence interroge, comme ce souci constant de toujours évoquer les figures d’une psychiatrie qui n’est plus. Pour s’abriter ? Mais de quoi ? Pour se réfugier dans les discours ? Il est frappant de voir combien beaucoup de ces textes qui avaient une visée pratique, immédiate, ont été constitués en dogme, le caractère expérimental disparaissant. La clinique de La Borde, héritière en la figure d’Oury et Guattari devenant une sorte de monument.

Une vidéo de Guattari au Palais de Tokyo

De quoi cette nostalgie fait-elle symptôme ? On écrit souvent, dans VIF aussi, que cette omniprésence du passé est le signe d’une impuissance de la psychiatrie contemporaine. Mais, on le sait, il y a aussi des lieux, des soignant.e.s et des patient.e.s qui aujourd’hui inventent des manières de vivre mieux. Ce que pointe cette nostalgie, n’est-ce pas tout simplement celle d’une période où on considérait les personnes dont ces institutions avaient la charge comme des sujets à part entière ? Derrière les propos de Tosquelles, Fanon, Basaglia, Deligny, il y a des visages. Si aujourd’hui, à chaque fois que l’on ferme un livre ou que l’on quitte un lieu d’exposition sur cette période, on est un peu soulagé mais néanmoins déçu, c’est que malgré tout, ceux qui sont entrés dans l’histoire, ce sont ces soignants, ces « grandes personnalités » et non les femmes et les hommes avec qui ils vivaient à Saint-Alban, à Blida, à La Borde.

Philippe Artières