Les Jeux paralympiques ont soulevé l’enthousiasme. Avec un espoir, celui que cet élan entraîne des changements durables dans la société pour une meilleure inclusion. En particulier, la visibilité des corps différents et de leurs aides techniques pendant les Jeux pourrait modifier à long terme le regard porté sur le handicap.
Toutefois, on peut se demander dans quelle mesure les énormes progrès des fauteuils roulants ou des prothèses de sport pourront améliorer la vie quotidienne des personnes (indépendamment des efforts d’accessibilité indispensable). C’est en fait peu probable car la démarche de développement technique n’est pas du tout la même. Comme les fauteuils de sport, les fauteuils « quotidiens » devraient être légers, rapides, maniables, mais surtout ils devraient être polyvalents, permettre d’accéder à toutes sortes de contextes (texture du sol, marches, débord), faciles à plier pour mettre dans une voiture, faciles à pousser, etc. Les fauteuils de sport sont optimisés pour une seule activité représentative du sport en question : favorisant la maniabilité avec des roues obliques pour le tennis, ou la vitesse avec une grand débattement vers l’avant. De même, les prothèses « Cheetah » de courses sont inutilisables dans la vie quotidienne.
Toutes les caractéristiques mécaniques et biomécaniques de ces dispositifs sportifs que l’on a du mal à nommer « aides techniques » sont finement ajustées et optimisées de manière très scientifique. La performance de l’athlète est dépendante de ces outils, ce qui ne manque pas de créer des inégalités entre nations aptes ou non à les financer (ce n’est pas réservé aux sports paralympiques, pensons au ski, au saut à la perche, etc.). Le transfert des progrès techniques observés pendant les Jeux paralympiques vers les fauteuils ou prothèses habituels sera compliqué car les besoins ne sont pas du tout les mêmes. Le côté monodimensionnel du sport contraste avec la complication et la versatilité de la vie quotidienne.
Courses d’interface cerveau-machine, de prothèse de bras…
Pendant les Jeux paralympiques, les « moteurs » et l’électronique sont bannis des équipements. À l’inverse, ils sont au centre d’une autre compétition qui a eu lieu à l’École polytechnique fédérale de Zurich (ETH) du 25 au 27 octobre : le Cybathlon. Comme dans les sports mécaniques, le Cybathlon oppose des équipes (universitaires ou industrielles) autour de leur « pilote » handicapé. Toutes les technologies possibles d’assistance bionique sont autorisées. Cette année, il y avait huit épreuves : des courses d’interface cerveau-machine, de prothèse de bras, de jambe, de fauteuil électrique, de vélo à stimulation électrique fonctionnelle, de robot d’assistance, et d’assistance visuelle, d’exosquelette. L’idée d’une course de « cyborg » homme-machine peut paraître une dystopie de science-fiction glaçante. Mais, selon l’idée de son fondateur Robert Riener, les épreuves sont conçues comme représentatives de la vie quotidienne, avec toutes ses embuches. Par exemple, les participants avec une prothèse de bras doivent exécuter des équivalents calibrés de mettre la table, étendre le linge, changer une ampoule, les concurrents en fauteuil électrique ou en exosquelette de marche doivent monter et descendre des marches, affronter une porte fermée, un sol inégal, etc. Il s’agit d’une course minutée, mais des points sont retirés si ces épreuves sont ratées.
L’intérêt du Cybathlon est de montrer le niveau effectif des avancées en robotique d’assistance. On peut fantasmer sur les prothèses ou les exosquelettes robotisés et imaginer que les robots résoudront tout mais la compétition met en avant l’énorme effort sportif des participants et les limites de la technologie d’assistance quand elle doit sortir des laboratoires et s’affronter à un environnement complexe. Pour des chercheurs en robotique, participer au Cybathlon implique de travailler en équipe sur le long terme avec le pilote pour développer un objet technique adapté et que le pilote puisse s’entrainer. Au-delà des relations amicales qui se créent, cela permet aux chercheurs d’être à l’écoute des besoins d’un usager logiquement exigeant, ce qui n’est pas si fréquent dans le domaine de la technologie de pointe. La première édition a eu lieu en 2016, l’édition 2024 était la seconde complète en « présentiel ». Comme en 2016, la compétition a probablement eu lieu devant un public nombreux et enthousiaste.
Agnès Roby-Brami