Sur le site Leboncoin sur Internet, on tombe facilement sur plusieurs maisons à vendre à Serres dans les Hautes-Alpes. Elles sont toutes identiques, 70 m2 de plain-pied, sur un terrain de 700 m2, elles sont estimées environ 150 000 euros. Ces petits pavillons sont au nombre de 84. Une histoire des plus éclairantes sur celle du logement des personnes retraitées.
Édouard Lambert, directeur au ministère du Travail et de la Sécurité Sociale, développa en 1959 un grand programme urbanistique sur la commune de Serres, dont il était alors le maire : un ensemble pavillonnaire « destiné à atténuer le choc de la fin de l’activité professionnelle et égayer la nouvelle vie des retraités ». Ces villages-retraite dits « Cités Lambert » sont revendiqués comme le premier quartier au monde dédié aux seniors. Après Serres, d’autres Cités Lambert furent construites à Tallard, La Motte-du-Caire, Chamousset, et Saint-Rémy-de-Provence. Dans le contexte de l’après-guerre, celui de la reconstruction et des nombreuses habitations insalubres où vivaient les « vieillards », comme on dit alors, Lambert propose « des pavillons fonctionnels avec jardin, à la campagne et au soleil, disponibles à peu de frais, idéals enfin, par les activités présentées aux habitants pour les maintenir en bonne forme physique et psychique durant leur seconde vie ». Le général de Gaulle apporta son soutien à l’initiative en étant le président d’honneur de l’association pilote.
Pas de solution miraculeuse
Les pavillons sont ainsi construits sur deux sites de la commune des Hautes-Alpes – 15 au boulevard de la Digue et 69 au quartier de la Flamenche, dont 11 lots réservés à des non retraités pour assurer une mixité. De style provençal, ils ont sur le portail un coq, emblème du village. Le programme rencontre d’abord un vif succès. Mais comme le souligne rétrospectivement Pierre Laroque, auteur du célèbre rapport sur la vieillesse1, cette solution n’était pas miraculeuse, et les villages-retraite furent progressivement désertés : « D’aucuns ont même conçu la formule de « villages-retraite », par transformation de bourgs ruraux, désertés par leurs habitants, en communautés d’accueil pour une population âgée. Mais il est apparu, rapidement, qu’il était difficile à des personnes âgées venant de milieux urbains de s’adapter à l’existence dans des villages isolés. Et d’autre part, les relations entre les habitants autochtones et les nouveaux venus créaient des heurts ou au moins des incompréhensions nuisibles aux uns et aux autres. En outre, les personnes retraitées, en vieillissant, avaient besoin de services, notamment médicaux, que l’on pouvait difficilement leur assurer dans de tels villages, et souffraient encore plus de l’éloignement de leur milieu familial. Aussi a-t-on peu à peu abandonné cette formule, la tendance dominante étant de maintenir la personne âgée le plus longtemps possible dans son cadre antérieur. À cette fin, une allocation de logement nouvelle, parallèle à celle qui existait déjà au profit des familles, a été créée par une loi de 1971, au profit, principalement, des personnes âgées ou handicapées, en vue d’aider les intéressés à supporter les frais et charges d’un logement individuel. »
Philippe Artières
Voir sur le site de l’INA le bref reportage consacré au village-retraite de Serres : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/raf05000049/village-de-retraites-a-serres