Le 22 mars 2024, c’est-à-dire une semaine avant le 30 mars, classifié récemment Journée mondiale de la bipolarité, deux sociétés, Synlab et Alcediag, ont convoqué une conférence de presse avec foule de fanfares et trompettes médiatiques.
Synlab (qui se définit comme fournisseur international de diagnostics médicaux humains et vétérinaires) et Alcediag (société montpelliéraine de biomarqueurs en santé mentale) ont décidé de lancer « le test sanguin my EDIT-B pour différencier la dépression et les troubles bipolaires ». Et d’annoncer que leur test « permet de réduire drastiquement le délai de diagnostic des troubles bipolaires, de 8 ans en moyenne à moins d’un mois. Le test reposant sur un séquençage nouvelle génération couplé à un algorithme basé sur l’intelligence artificielle. Les performances du test sont supérieures à 80% ». Les promoteurs ajoutent qu’une « enquête associative indique que 20% des répondants ont eu la confirmation du diagnostic plus de 15 ans après l’apparition des premiers symptômes de troubles bipolaires ». Et de conclure à « un nouvel espoir pour les patients, une avancée majeure pour la médecine de précision en psychiatrie ». Selon les « chiffres clés » du communiqué, « en France 1,6 million de personnes, soit 2,5% de la population, ont potentiellement un diagnostic de troubles bipolaires. Ceux-ci étant souvent confondus avec la dépression, le diagnostic initial serait erroné dans 60% des cas et le bon diagnostic posé, en moyenne au bout de 8 à 10 ans d’errance avec les conséquences que l’on imagine pour la personne, le risque de suicide notamment, et ses proches. »
Diagnostiquer les troubles bipolaires ?
En se bornant à de simples remarques factuelles, notons d’abord quelques inexactitudes sans doute liées à l’enthousiasme des promoteurs. Par exemple dans les références bibliographiques rapportées, il n’est pas écrit « qu’il faut en moyenne 8 à 10 ans pour diagnostiquer les troubles bipolaires » mais « qu’il peut s’écouler 8 à 10 ans entre le premier épisode et le diagnostic correct »… Nuance ! Effectivement, dans certains cas, ce n’est que par un échange attentif avec le patient qu’on peut reconstituer l’antériorité de la bipolarité parfois inaugurée dans l’adolescence, nous confirme un psychiatre expérimenté. De même, le communiqué s’abrite derrière « les études publiées » qui se révèlent être réduites à… une seule enquête menée sur le sujet ne semblant, du reste, pas faire référence.
Des performances de test supérieures à 80% ont de quoi impressionner. Deux bémols cependant. Elles ont été mesurées dans des conditions taillées sur mesure : petites séries (160 et 95) de personnes chez lesquelles les diagnostics avaient été validés de manière robuste. Qu’en serait-il si l’on demandait au test ce pourquoi il est a priori fait et promu ? Non pas valider ce qui l’est déjà mais aider au diagnostic en pratique courante : ce qui est important, c’est de savoir combien de fois, en conditions réelles, le test se trompe, par excès ou par défaut. Les chiffres des promoteurs permettent déjà de conclure que le test sera positif à tort chez 10 à 20% des personnes testées alors qu’il manquera le diagnostic de trouble bipolaire tout aussi fréquemment ; tout sauf anodin d’un point de vue médical et en santé publique.
De façon plus triviale, le test, qui n’est pas remboursé par l’Assurance maladie, est facturé 900 €. Il est annoncé qu’une « étude complémentaire » devra être menée (et donc financée) sur trois ans pour y parvenir éventuellement. Quand on va à la pêche, cela s’appelle amorcer !
François Aubart et Bernard Bégaud