656 morts de la rue, « pour eux, les jeux sont faits »

L’enterrement sous la pluie de Giovanni, au cimetière de Thiais

Faire-part 2023

Depuis vingt ans, le collectif « Les morts de la rue » organise à Paris un hommage aux personnes qui durant les trois derniers mois avant leur décès avait vécu dans des lieux non faits pour l’habitation, ou en hébergement d’urgence ou temporaire. Cette année, cela se passait le 19 mars, dans le jardin des Arènes à Paris.

Des personnes qui sont mortes ainsi, sur la voie publique, dans des abris de fortune, tels qu’un parking, une cage d’escalier, une cabane de chantier ou dans le métro, mais aussi en lieux de soins ou en structures d’hébergement. En 2023, elles avaient 48 ans en moyenne, soit trente ans de moins que l’espérance de vie en France. Une majorité d’hommes (561), 68 femmes, 10 enfants de moins de 4 ans, 7 mineurs entre 15 et 19 ans, et 10 personnes de plus de 80 ans. Les causes de décès sont multiples, liées à des états pathologiques non soignés, mais elles sont aussi dues à des suicides, la conséquence de violences. Les femmes sont moins nombreuses mais meurent un peu plus jeunes. Une hausse de 7,36% par rapport à 2022.

Ces chiffres ne sont pas exhaustifs, précise la présidente de ce collectif, Bérangère Grisoni : « C’est un iceberg, on peut penser qu’il y aurait 3 000 victimes du sans-abrisme. » Avec la Fondation Abbé Pierre, elle annonce un doublement du nombre des personnes « à la rue » depuis dix ans, et rien ne laisse penser que cela pourrait diminuer malgré les saisines répétées des fédérations qui assurent alerte et soins à toutes les personnes rejetées par notre système social. Nous avons tous lu ou entendu les constats de saturation du « 115 » qui ne répond plus en Île-de-France. Il y a déjà dix ans, la presse nationale relayait les associations, et lors de la dernière Nuit des solidarités, le 26 janvier, les associations de solidarité et les collectivités locales dénonçaient les défaillances de l’État. Des écoles ouvrent des hébergements d’urgence dans des salles de classes, des réseaux de parents occupent les écoles pour y faire dormir des élèves et leur famille à la rue, des campements de mineurs non accompagnés se constituent devant l’Hôtel de Ville ou le Conseil d’État pour réclamer un hébergement

La rue tue

Au-delà de sa mission de rendre hommage à ces personnes, ce collectif œuvre à retrouver les traces, les proches des personnes décédées afin de leur donner des funérailles dignes. Il dénonce et contribue à « faire savoir ». Lors de cette cérémonie, la prise de parole des représentants de l’État et de la Mairie de Paris, s’imposait, sans doute. Elle m’a semblée vaine, eu égard à la crevasse qui existe entre les annonces et la réalité. Assez de ces vœux pieux et des ces mesurettes sans lendemain. La rue tue, c’est peut-être notre affaire à tous mais c’est d’abord l’affaire du « politique » qui semble être aveugle et sourd aux réalités sociales, liées à la montée de la précarité et à notre incapacité à en prendre la mesure. Il semble que cela reste de la responsabilité d’associations caritatives…

Une exposition mettait en valeur les vingt manifestations faites en hommage à ces invisibles.
Ce 19 mars, le slogan était « Pour eux, les jeux sont faits ». Chacun de ces morts a été nommé, et représenté par une petite plaque disposée sur le sol en étoile qui a ensuite été fleurie. Des récits, témoignages rendaient vivantes ces personnes. Sous un soleil de printemps, en pleine lumière, ces moments étaient forts et se suffisaient. Dans ces arènes de Lutèce, choisies du fait des Jeux olympiques, l’émotion mais aussi l’indignation étaient palpables. Sommes-nous condamnés à l’impuissance ?

Geneviève Crespo