Une soirée dans le XXe arrondissement

Un débat parmi d’autres…

C’est cela, se sentir engagé dans la santé publique : discuter, débattre, expliquer, passer une soirée à donner des faits. Dans le cadre d’un cycle « Faire connaissance », Nathalie Bajos était ainsi à la médiathèque Marguerite Duras dans le XXe arrondissement pour une conférence suivie d’un débat sur le thème « Sommes-nous égaux devant la maladie et la mort ? » qui s’est transformé in situ en « D’où viennent les inégalités de santé et comment les réduire ? » Parler, puis débattre. Une cinquantaine de personnes étaient présentes. Un lieu parfait, bel auditorium. Ce fut passionnant.

Reprenant l’argumentaire de sa leçon inaugurale au Collège de France, Nathalie Bajos a présenté son cadre théorique : l’approche intersectionnelle appliquée à son objet de travail et de recherche. « Les rapports de domination, de genre, de classe et de race, façonnent les pratiques sociales, ils n’opèrent pas indépendamment les uns des autres. » Elle se réfère alors au projet pluridisciplinaire Gendhi, dans lequel elle est très impliquée. Comment les parcours de vie, les conditions de vie, les processus de socialisation, la classe sociale, le genre, la race influent sur la perception des symptômes, puis sur l’accès au soin et la prise en charge médicale. Elle insiste sur les liens entre la perception des symptômes et le contexte social et éducatif. La prise en charge médicale est aussi différente selon des biais sociologiques.
Ce modèle a été mis à l’épreuve de l’analyse de la prise en charge de diverses pathologies. Elle a cité le cas de l’infarctus du myocarde, intitulant son analyse « Lecture sociologique d’un paradoxe épidémiologique ». Cette pathologie est la première cause de mortalité dans le monde, la deuxième cause de mortalité pour les femmes en France. Pourquoi ? Les femmes s’alertent moins lors des premiers symptômes (pas toujours identifiés, même par les médecins) et elles tardent à accéder aux soins. Ces symptômes sont un peu différents et elles bénéficient de traitements diagnostiques et thérapeutiques moins favorables.

Comment réduire ces inégalités ? En travaillant sur toutes les dimensions : l’effet cumulatif des causes qui conduisent les femmes à consulter tardivement et à être moins écoutées, la collaboration entre cliniciens et chercheurs, la modification des recommandations des sociétés savantes, le changement de paradigme préventif. Les questions ont été nombreuses. Pourquoi les cardiologues femmes n’ont-elles pas plus d’influence sur la prise en charge de cette pathologie ? Comment ces analyses sont-elles partagées et quels effets sur la prise en charge des patients ? L’étape diagnostic aux urgences ? Ces échanges se sont, aussi, attardés sur le contexte économique, sur les seuils de tolérance à la douleur, selon le milieu social, le genre, les races. La formation des professionnels ne progressant pas assez vite.
L’interaction entre facteurs sociaux et déterminants biologiques est ainsi au cœur de la compréhension des disparités de santé. Nathalie Bajos a souligné que seule une approche globale et concertée, impliquant à la fois politiques publiques, acteurs de santé et société civile, permettra d’avancer vers davantage d’équité. Elle a également évoqué l’importance de renforcer la formation des professionnels de santé à la prise en compte des différences liées au genre et au contexte social. Mais aussi estimé qu’il est essentiel de sensibiliser l’ensemble des acteurs du système de santé à la diversité des expériences vécues par les patientes. Un accompagnement personnalisé et une écoute attentive des symptômes atypiques peuvent contribuer à améliorer le diagnostic et à réduire les inégalités de traitement.

Voilà. Clair, efficace. Un moment utile. « Favoriser la recherche interdisciplinaire et intégrer les retours des patients dans l’élaboration des protocoles médicaux sont également des leviers importants pour progresser vers une médecine plus inclusive. » On en rêve…

Geneviève Crespo