« Tu as été parfaite, comme toujours »

17 mars 2025, soit cinq ans après le début du premier confinement. Écrit par deux journalistes du Monde, le livre Les juges et l’assassin, paru le mois dernier, revient sur les tout premiers mois de la pandémie. Basé en grande partie sur le dossier judiciaire – qui avait valu, entre autres, à Agnès Buzyn, Oliver Véran et Jérôme Salomon, d’être entendus par les trois magistrats chargés de l’instruction par la Cour de justice de la République (CJR) – le livre révèle, ou confirme, trois aspects déroutants de cet épisode : une petitesse humaine de certains des acteurs, la lourdeur du magma administratif, et enfin l’absence dramatique de retour d’expérience.

Flagorneries, petites humanités, élèves tricheurs…

Commençons par les « indiscrétions » qui remplissent ce livre-enquête. Elles sont d’abord amusantes, mais ensuite terriblement décevantes pour leurs auteurs. Pour dire les choses simplement, « c’est petit ». En ayant accès aux dossiers de l’instruction, nos auteurs révèlent, au gré de leurs pages, les mille et une réactions par le biais de sms ou de mails des différents acteurs : relations médiocres, flagorneries, petites humanités, complaisances entre les uns et les autres. À l’image de ces sms du Directeur général de la santé, Jérôme Salomon, ne manquant aucune flatterie à l’égard de sa ministre. Comme après une intervention à la télévision : « Tu as été parfaite, comme toujours ».

Tout est ainsi : petit bras. Comme cet échange de publicitaires : « Cela évite le mot crise, c’est plus soft ». « Peut-être prendre les devants et dire pourquoi on ne le fera jamais », écrit Agnès Buzyn à Jérôme Salomon. Ou ces mots d’un préfet à Agnès Buzyn : « Vous avez crevé l’écran par votre posture apaisée et souriante. » On découvre au passage que personne n’a forcé la main à Agnès Buzyn pour se présenter aux municipales, celle-ci ayant vraiment très envie d’y aller et se démenant pour décrocher l’investiture, contrairement à ce qu’elle a par la suite laissé entendre en réponse à ceux et celles qui lui reprochaient d’avoir délaissé le front Covid.

Ensuite, il est alarmant de découvrir les échanges de ces « gens-là » pour se préparer aux auditions devant les commissions d’enquête. On dirait des élèves tricheurs qui répètent leurs examens avec des fausses questions, des petits mensonges, des gros secrets. Comme si leurs seules préoccupations étaient de se montrer sous leur meilleur jour, et non d’expliquer ce qu’ils ont fait (car ils n’ont pas que mal fait). Le livre fourmille de ces sms s’auto-félicitant, s’auto-défendant, si loin de la défense du bien commun. Dans le lot, seul le directeur de cabinet d’Édouard Philippe, Benoît Ribadeau-Dumas, fait montre d’une certaine classe, regarde les choses, réussites comme échecs. « Bien sûr qu’on s’est trompés », dira-t-il, à la différence d’Agnès Buzyn, surnommée « Madame, j’ai tout bien fait » par les juges de la CJR. Bref, si nos responsables ont bien le droit de se tromper, ils se révèlent après-coup d’une grande mesquinerie.

C’est toujours la faute de l’autre

Second volet : le magma administratif que révèle ces premiers mois de gestion de l’épidémie. Ce n’est pas, il est vrai, une nouveauté, mais il reste saisissant de voir ces réunions et décisions qui se multiplient et se perdent dans le mille-feuille des structures, comités, directions, censés coordonner l’action en cas de crise sanitaire, affublés d’acronymes peu explicites, et dont le ou la ministre ne connait pas toujours l’existence et encore moins le rôle: CIC, COGIC, DDIL-MS, EPRUS, CORPUSS, COZ, COD, ORSAN, RSS. L’agence Santé publique France servant de bouc émissaire pour expliquer les erreurs des uns ou des autres. Le point d’orgue, bien sûr, étant au final l’incroyable incompétence dans la gestion des stocks de masques que personne ne contrôle vraiment. La recommandation des scientifiques de maintenir un stock d’un milliard de masques déplaît car jugée trop coûteuse. Donc, on laisse pourrir dans les deux sens du terme. Pire, alors que l’on envoie des soignants au front sans protection, on apprend que l’on brûlait des millions de masques parfaitement utilisables au prétexte que leur date de péremption était dépassée. Nul ne sait qui a pris ces décisions, et encore plus déroutant, elles ne sont pas connues, se perdant entre les différents lieux de décision. Mensonges, faux-fuyants, c’est toujours la faute de l’autre1. Et on arrive à la pénurie que l’on connaîtra avec, en écho, une énergie folle des pouvoirs publics pour expliquer qu’il n’y a jamais eu de pénurie, mais qu’au début, le masque n’était tout simplement pas recommandé selon l’Organisation mondiale de la santé.

Une expérience instructive mais totalement occultée

Dernier point, le retour d’expérience. Si ce concept est adoré dans le monde politico-administratif, bizarrement, il ne l’applique jamais. Revenons sur le gros loupé autour du milliard de masques qui a disparu. Toute cette histoire a été disséquée par la CIR, mais comme tous les acteurs ne cherchent après-coup qu’à se dédouaner, que personne n’est coupable parce qu’il n’y a pas eu faute, aucune conclusion n’est finalement tirée. Et rien n’est ainsi fait pour que cela ne se reproduise pas. L’expérience est là, instructive, mais totalement occultée. De même sur le retard de la mise en place du centre de crise, le Corruss, ou sur la décision du premier confinement, il y aurait des enseignements à tirer. Mais non. Et quand un rapport se penche sur les ratés, il est mis sous le manteau, parfois censuré, et plus étonnant encore ignoré.

« On ne peut pas mener une guerre avec des généraux à temps partiel », dira plus tard William Dab, ancien Directeur général de la santé. Il a sûrement raison. Mais à quoi cela sert-il d’avoir raison puisque rien ne se passe ? Et donc, une fois encore, on tourne la page au plus vite. On pointe un bouc émissaire, une en l’occurrence, Geneviève Chêne, directrice de Santé publique France qui, il est vrai, n’aura pas marqué les esprits par la clairvoyance de ses actions. L, accuser de tous les maux, cela va permettre aux Salomon-Buzyn-Véran de passer pour des chevaliers vaillants, et de poursuivre leur carrière. C’est sur ce constat, sur ces leçons non tirées, que la responsabilité de nos acteurs est étouffante. Et lourde d’échecs à venir.

Éric Favereau

1) Faut-il  rappeler que le Directeur général de la santé a répété que les scientifiques ne les avaient pas recommandés, alors que c’est lui-même qui fait supprimer le passage qui recommande l’usage des masques dans le rapport Stahl…