Je me souviens d’avoir entendu : « La vague monte ». Je me souviens d’avoir été tiré par la manche par le concierge de mon immeuble pour courir chercher des masques en tissu. Vingt euros le masque ! Je déclinais l’arnaque… Je me souviens de ce confinement comme une musique de mots : La vague-Réanimation-Lits-Anesthésistes-Saturation-Matériel-Plateforme.
Je me souviens de l’hôpital chaque jour honoré comme le temple des miracles. Et la musique surfant sur la vague épidémique. Ouvrir des lits. On vit l’enfer. On touche le fond. Le déferlement de malades. Respirateurs-scanners. Accalmie ? Il ne faut pas se réjouir trop vite. On a repris un coup d’avance. Des places libres.
Je me souviens du « Je ne laisserai personne dire qu’il y a eu du retard sur la prise de décision s’agissant du confinement », tempêtait le Premier ministre (samedi 28 mars 2020). La vague est très haute. On commence à ne plus avoir pied ? Et un ventilateur pour sauter au-dessus d’elle ?
Mais qu’est-ce qui se passe là ?
Samedi 4 avril, 6 838 malades sont en réanimation, du jamais vu « dans l’histoire médicale française ». Et tous les soirs, nous entendons : Flux entrant. Flux sortant. La pression redescend un peu. Un peu d’avance dans cette décrue. Va-t-on avoir d’autres vagues ? On a l’impression que ça se calme, mais c’est trop tôt pour l’affirmer. Encore la tourmente en Seine-Saint-Denis. Vendredi, première journée sans intubation de patients dans un état critique. Pas de recul. Hier, c’était encore la guerre.
Peu s’en sortent.
S’en sortir.
Sortir de l’hôpital.
Mais que s’y passe-t-il durant ces mois de folie ?
Que se passe-t-il au ras des services, des couloirs et des chambres ?
À partir de soixante-dix heures d’enregistrement audio effectués à la demande d’une soignante auprès de 35 agents travaillant dans les établissements publics de soins, Caroline Girard et Franck Magloire nous livrent 100 pages VIVES et incisives.
Un petit ouvrage, Les Hospitaliers, aux éditions L’Ire des Marges.
Les témoignages renvoient à ces deux années tragiques du coronavirus.
Du médecin à l’infirmière ou aide-soignante, de la manipulatrice en radiologie au brancardier ou à l’agent de nettoyage, de l’employé chargé de la logistique à celui de la chambre mortuaire, les mêmes cris et les mêmes mots : tri des malades, tâtonnements des médecins, statistiques des morts quotidiennes, familles évincées, deuils impossibles…
Le sentiment d’urgence est au cœur du propos. Le monologue intérieur…
« Tout déborde »
Car finalement, que sait-on de ce qui s’y passe, à l’hôpital ? Que sait-on pratiquement d’une journée d’une infirmière, d’un médecin, d’une aide-soignante, d’un agent de service préposé aux déchets lorsque la marée monte ?
Jean-François Lae
Merci à Caroline Girard et Franck Magloire pour cette autorisation de lecture de leur ouvrage, Les Hospitaliers.
Merci à notre lectrice Claire Choquet, comédienne.