La vieillesse, qui n’était vraiment pas un sujet à faire recette jusqu’à présent, s’est invitée à la Une, sur toutes les ondes. Jusqu’à la nausée, parfois. Comme souvent avec l’actualité, il se pourrait que le feu s’éteigne aussi vite qu’il s’est embrasé. D’autant que le « scandale Orpea » ne nous apprend pas grand-chose. Tous ceux qui, pour une raison ou pour une autre, ont eu à s’approcher des Ehpad, connaissent le risque de dérive – loin d’être l’apanage de ce seul groupe – consistant à y privilégier le beau et l’apparence plutôt que le bien et la présence.
Les premiers sont plus faciles à organiser, efficaces pour réconforter ceux qui viennent visiter leurs proches et pour les professionnels qui y travaillent, et l’argent qu’ils coûtent est d’un bon rapport coût/bénéfice. Alors que se préoccuper d’être vraiment présent au chevet des résidents, de leur fournir sans compter les soins nécessaires, mais aussi le lien humain dont ils ont cruellement besoin pour que la vie continue d’être vivable, est une tâche infinie. L’investissement n’est jamais suffisant, qu’il soit humain ou financier, et la part de travail ingrat à fournir est substantielle.
Ne nous cachons pas la vérité. Ce n’est ni facile ni toujours drôle de s’occuper des très vieux devenus dépendants. Est-ce vraiment une solution de les rassembler par dizaines dans un même lieu pour optimiser les coûts de leur prise en charge ? N’est-ce pas un métier trop dur que d’être soignant à plein temps en Ehpad pendant des années ? Mettre davantage d’argent sur la table pour mieux payer ces professionnels et en attirer un plus grand nombre est une fausse piste, ou du moins, elle est nettement insuffisante. Or, c’est en cela que va consister la réponse des politiques. En cette période préélectorale, chaque candidat va faire monter les enchères un peu plus que le voisin pour tenter d’attirer par ce biais quelques électeurs supplémentaires.
Ce n’est pas de cela qu’il s’agit. C’est le modèle qu’il faut remettre en cause et la façon dont la société fait place à ceux qui vieillissent, un peu plus vite, ou un peu moins, selon. Avez-vous remarqué ? L’étiquette « vieux » est aujourd’hui si dépréciative que personne ne se dit vieux… On ne s’admet vieux que le jour où l’on est devenu si vieux que l’on en vient à avoir vraiment besoin d’assistance. Alors, le vieux est pris de honte, il se tait, il n’ose plus refuser d’être mis en Ehpad, bien qu’il y aille la mort dans l’âme et qu’il le vive comme une punition. Il a peur sinon de devenir une charge trop lourde pour ceux qu’il aime, il craint de demander ou dire ce qui lui ferait encore plaisir, il se vit comme un vieux machin encombrant et inutile, il ne s’aime plus, et petit à petit, il perd le goût de vivre.
C’est de cela qu’il s’agit. C’est contre cela qu’il faut s’insurger. Aucun d’entre nous ne voudrait être demain le vieux qui vient d’être décrit. Tant que ces lieux de relégation spécialisés dans l’accueil des très vieux dépendants existeront, ils y seront envoyés, ghettoïsés, et les dérives que nous déplorons aujourd’hui perdureront.
Il faut admettre que l’on s’est trompé. Inventer autre chose. Concevoir des petites unités de vie, insérées dans la cité, en partager la charge à plusieurs pour qu’elle reste supportable et que le lien social et humain y reste fort. Travailler, réfléchir ensemble, nous les jeunes vieux avec les plus vieux, imaginer comment on pourrait s’y prendre pour que la vie puisse rester longtemps belle malgré l’âge qui avance et pour que le risque d’être obligé de partir de chez soi soit réduit au minimum.
Nous sommes tous responsables de la crise qui explose. Car la relégation commence très tôt. Dès le passage à la retraite, quand le monde salarié commence à vous ranger dans la catégorie des « inactifs ». Puis, cela progresse insidieusement, année après année, jusqu’à ce que l’on ait intériorisé en douceur que l’on est devenu une personne encombrante et un citoyen de seconde zone. C’est contre cela qu’il faut s’insurger ! La vieillesse ? Personne n’y échappe !
C’est pour relever ce défi que nous avons créé le CNaV. Pour que l’on regarde les vieux et la vieillesse différemment qu’à travers le seul prisme des Ehpad et de la dépendance. Pour que les vieux unissent leur voix et réfléchissent ensemble, à la fois à leur place et rôle dans la société, et à ce qu’ils sont en droit d’en attendre.
Véronique Fournier
Nous vous attendons pour la première rencontre du Conseil National autoproclamé de la Vieillesse (CNaV), le 14 février de 17 à 20 heures à la Cartoucherie. Une rencontre ouverte à tous, venez nombreux ! Faites circuler cette invitation auprès de tous ceux et de toutes celles qui veulent participer au Conseil National autoproclamé de la Vieillesse.
Ariane Mnouchkine, qui a été actrice de beaucoup des grandes luttes citoyennes de ces dernières décennies, nous accueille dans son théâtre. C’est une grande chance ! Une formidable opportunité pour se rassembler, se connaître et construire ensemble une société différente, une société où les vieux auraient toute leur place pour apporter eux aussi leur écot à une société qui ne va pas si bien que cela.