Stéphanie, infirmière devenue buraliste

Le manque d’infirmières dans les hôpitaux gangrène les équipes de soin. Pourquoi ce métier si valorisé de l’extérieur connaît-il de telles difficultés de l’intérieur ? Stéphanie a 43 ans. Elle est, ou plutôt était, infirmière jusqu’il y a encore un an. Aujourd’hui, elle tient un bar-tabac-PMU.

À la recherche de la route

« J’ai commencé comme auxiliaire en puériculture à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris. Après mes études d’infirmière, j’ai eu le bonheur d’être affectée à l’hôpital Necker qui représentait pour moi l’excellence pour la pédiatrie, et là, je suis restée huit ans en chirurgie cardiaque et réanimation, puis neuf ans en neuropédiatrie.
J’aimais beaucoup ce que je faisais, mais comme tout le monde, et depuis longtemps, les méandres de l’organisation de l’hôpital me pesaient. Surtout au fil du temps. La charge de travail a augmenté, elle m’obligeait à me cantonner aux gestes techniques alors que je prenais en charge des enfants aux pathologies lourdes, chroniques. Des enfants qui viennent souvent, chaque semaine, et cela pendant des mois. Donc avec des liens très forts. Alors ne plus avoir le temps de discuter ou de plaisanter… !

Je travaillais en hôpital de jour qui n’a pourtant jamais véritablement été en sous-effectif. L’Assistance publique et les hôpitaux en général misent beaucoup sur les hôpitaux de jour. Mais le problème, c’est qu’en fait, ils servent de tampon à ce qui ne peut pas être fait ailleurs. Dans les services classiques, il y a des fermetures de lits par manque de personnels. Les patients sont basculés… en hôpital de jour. Certes, on prenait en charge de nombreuses pathologies et c’est très formateur, mais on se sentait toujours plus oppressés par le fait de devoir prendre plus de patient au motif qu’il y a toujours de la lumière en hôpital de jour. C’est difficile d’accepter de ne pas pouvoir écouter et échanger avec l’enfant et sa famille. Je ne supportais pas de dire à l’enfant « donne ton bras » et… paf paf paf, en 5 minutes, il fallait que tout soit terminé en laissant aux familles la surveillance des constantes. 
Ce n’était pas nouveau. Je dirais, pour moi, en 2008-2009, aller plus vite est devenu une exigence quotidienne. On avait de la chance, la cadre de santé était très humaine et très proche de nous, une vraie cadre de proximité. Mais cela ne suffisait pas. Par contre, les « cadres sup », on les voyait de moins en moins, elles ou ils étaient en réunion toute la journée. Ils sont trop et de plus en plus nombreux. En réunions permanentes, sans contact avec les patients, les cadres sup ont perdu la vision des problèmes. Coucher un patient dans un lit, c’est facile sur un ordinateur – un nom, un lit… – mais dans la vraie vie, que fait-on quand on n’y arrive pas ? Et toujours la question de savoir à quelle heure va partir le patient parce qu’il y a quelqu’un d’autre à mettre derrière. Les médecins ? Depuis leur internat, ils assurent, ils ont été formatés comme ça, à travailler beaucoup. Peut-être sont-ils un peu plus forts que nous, mais eux aussi fatiguent. Peut-être sont-ils un peu blasés ? Quant à l’administration, rien, aucun rapport. Les bureaux ne sont jamais ouverts.

J’ai craqué. Nous étions en 2020, cela a été la cerise sur le gâteau avec la première vague Covid, j’ai été déplacée en réanimation avec une grosse partie de l’équipe. On nous a confié les patients Covid. Il a fallu prendre de plein fouet les premiers décès et puis tous les autres. Ce qui restera toujours en moi a été de devoir accompagner en visio le décès d’un enfant, avec les parents complètement perdus.
Peu de temps après, quand la vague a décru, il y a eu des cafouillages pour savoir « ce qu’on allait faire de nous ». Et là, j’ai perdu le goût, en burn-out. Peut-être que sans le Covid, j’aurais continué. Peut-être. Mais le sens m’a semblé perdu. Et puis, il y avait le salaire.
C’est pesant de gagner aussi peu, surtout en région parisienne. Je bénéficiais d’un logement de fonction dont le loyer était de 1 200 euros, soit une grande part de mon salaire. Mais oui, c’est une honte. Travailler beaucoup, bien sûr, mais a un moment donné, recevoir 1 900 euros par mois est un peu raide. Et encore, depuis que les crèches de l’hôpital sont couplées avec celles de la mairie de Paris, les tarifs ont été alignés et le nombre de places a diminué. Je connais des aides-soignantes qui sont parties faute de place en crèche. 

Aujourd’hui, tout a changé. J’ai un peu honte de dire que j’ai passé le cap. Je suis buraliste. Les raisons ? Ce que je vivais à l’hôpital donc, mais aussi des changements dans ma vie personnelle, l’envie de me mettre au vert. Un jour, un ami de mon compagnon nous a proposé de reprendre ce commerce ; le contexte, l’opportunité, voilà, cela a été le déclic. Et là, c’est bizarre, mais j’ai retrouvé le lien social dans ce petit village. Le but était de créer des liens avec des gens du village. Et nous y sommes. »

Recueilli par François Aubart