Psychiatrie, tout va bien ou tout va mal ?

Nicolas Philibert, Averroés et Rosa Parks

Si un Persan venait à atterrir en France en ce mois de mars 2024, et si dans son périple il venait pour s’enquérir de l’état de santé de la psychiatrie – et pour cela regarderait films, expositions, voire visionnerait des documentaires sur ce thème –, il en sortirait globalement admiratif et confiant, tant ce qu’on lui montre ces jours-ci a un côté bienveillant et nostalgique.

C’est un des paradoxes du moment. Jusqu’à récemment (et encore maintenant), on n’entendait que l’énoncé d’un constat catastrophique, avec la dénonciation d’une absence criante de personnel, avec des patients endormis, sédatés à outrance quand ils ne sont pas attachés des heures à des brancards faute de lits disponibles. Partout le même cri d’alarme, avec des récits dramatiques. Et voilà que lorsque l’on rentre dans un musée comme au Palais de Tokyo pour voir l’exposition « Tous insensés », lorsque que l’on se rend dans une salle de cinéma où seront diffusés les deux épisodes supplémentaires d’un film sur l’hôpital Esquirol (après celui sur la péniche L’Adamant), ou lorsqu’on regarde tout simplement un documentaire sur le travail d’un psychiatre aux urgences de l’hôpital Beaujon, on est rassuré : toutes ces œuvres renvoient une image douce et aimante de la prise en charge de nos fous. Certes, tout n’est pas simple, mais l’humanité des soignants et le regard bienveillant des visiteurs font que cela fonctionne plutôt bien. On serait en somme loin du désastre annoncé.

Un air du temps attentif et bienveillant

Ainsi au Palais de Tokyo, dans l’exposition « Tous insensés », comme nous le raconte Jean-François Lae. On y voit de la vie brute. Cela semble fonctionner, c’est même rebelle et insolent. Une grande place est faite autour de la clinique de La Borde, avec des entretiens de Felix Guattarri, ou de Jean Oury, et bien sûr de François Tosquelles, tous autour de la psychothérapie institutionnelle. On écoute, un peu admiratif, très enchanté, et presque rassuré. Quel étonnant moment vit-on ! La psychothérapie institutionnelle est ainsi, partout fêtée et reconnue, que ce soit dans les librairies ou sur nos écrans, partout sauf dans lieux de soins où elle reste une pratique marginale, assommée par le triomphe des neurosciences et des médicaments.
Et ainsi de de suite. Dans les documentaires récents, c’est la même tonalité qui prévaut. On y rencontre des psychiatres magnifiques, particulièrement attentifs, compréhensifs et conciliants, gentils et humains, comme celui des urgences de l’hôpital Beaujon, le Dr Jamal Abdel-Kader. Il est jeune, et il faut le voir s’adresser avec élégance à un toxicomane défiguré par les coups : « Ne le prenez pas mal, monsieur, mais faites-vous du trafic ? » Il faut l’entendre parler tatouages et sublimation à une jeune fille à peine sortie de l’enfance, amputée des deux jambes après une énième tentative de suicide, ou chercher des cigarettes ou une soupe au potimarron pour soulager ses patients. Voire encore saluer une patiente qui quitte le service comme s’il parlait depuis le seuil de son salon : « Solange, sachez que vous êtes toujours la bienvenue. » Certes à la fin, il fait part de son désarroi devant le manque de moyens, de personnel, se demandant même s’il va continuer à exercer, il n’empêche Jamal Abdel-Kader est présent, il fait un travail impressionnant. Comme si quelque chose était bel et bien possible….
Dans les deux documentaires de Nicolas Philibert qui font suite à Sur l’Adamant, c’est le même air du temps bienveillant et attentif, que l’on ressent. Ainsi dans Averroès et Rosa Parks, qui est une série d’entretiens entre psychiatres et patients hospitalisés, il y a de l’écoute, de l’empathie. Certains des patients délirent, mais on les entend. Et l’on ne peut être qu’admiratif quand on suit dans le numéro 3 – Machine à écrire – un duo de soignants qui se rend au domicile des patients, sous le prétexte de réparer un lecteur de cassettes qui ne fonctionne plus, une machine à écrire qui se bloque. Tout cela se déroule dans un dialogue simple et humain, thérapeutique aussi. « Le silence, cela me tue », dit la vieille patiente, à qui l’on redonne vie à son poste de radio.

Pourquoi faire la fine bouche et douter, me direz-vous ? On reste néanmoins un peu perdu par l’écart entre cette psychiatrie humaniste qui a envahi nos musées, les salles de projections, les librairies, et les remontées du terrain qui sont, elles, bien plus sombres. Certes, il y a indéniablement aujourd’hui une kyrielle de petites oasis où se font avec chaleur et compétence des prises en charge efficaces. De ces lieux-là, on n’en parle surement pas assez. Pour autant, que peut-on en déduire ? Assiste-t-on à un renversement de tendance ? Sortirait-on d’un discours de plaintes pour nous rappeler qu’autre chose est possible ? Serait-ce, donc, la preuve qu’en dépit d’un climat sombre on peut faire des choses ? Ou bien tout cela n’est-il qu’un écran de fumée, enrubanné de nostalgie, pour supporter la lourdeur des temps présents ?

Éric Favereau