Cher Docteur
Comparer des lettres envoyées dans les années 1950 à ce que disent les forums aujourd’hui trahit la disparition partielle du lien et de la confiance qui pouvaient alors exister entre les proches d’un patient et son psychiatre.
Hier, on écrivait à son médecin. Les psychiatres recevaient un abondant courrier des familles (épouse, mari, parents…) s’adressant à l’institution, au « docteur », à celui dont on espère qu’il va pouvoir trouver la solution. Ce que disent ces lettres des années 1950 adressées à un psychiatre, chef de service d’un hôpital psychiatrique de l’ouest de la France, c’est le rapport que l’on entretenait alors à l’institution psychiatrique, à ceux qui savent ou tout au moins, dont on pense qu’ils vont pouvoir soulager. Des lettres à écouter (lues par David Goldzahl et Jonathan Deveyne) , que nous avions déjà publiées.
Semblables pour certaines aux suppliques des lettres de cachets de l’Ancien Régime (des demandes d’internement), ces missives sont des lieux d’écriture de la perception que les proches se font de « la maladie mentale ». Une écriture profane, purement sensible, de la souffrance de l’autre, des fragments de vies violentes racontés avec des mots simples, des mots dépouillés.
Hier, c’était un autre monde. Car si les prises en charge étaient souvent aléatoires et les moyens insuffisants, au moins parfois, on se parlait. Et on écrivait.
Aujourd’hui, on se tait, on se plaint, on se cherche sans vraiment se trouver. Les proches n’ont plus vraiment de place. Dans le monde de la santé mentale, on les accuse même de tous les maux, soit de vouloir hospitaliser de force leurs proches, soit d’être la cause de leurs troubles. Lourde ambiance, comme l’a montré le mois dernier une étude de l’Union nationale de familles et de personnes malades et ou handicapés psychiques (Unafam) qui souligne cette frontière.
« Sur le soin, je ne peux pas dire de choses positives parce que même aujourd’hui, le psychiatre de mon frère, je ne le connais pas. Il n’a même jamais demandé à me voir. Je suis en dehors. Pourtant, c’est moi qui m’occupe de mon frère. Pour eux, ils soignent mon frère, et moi, je suis une pièce rapportée qui n’a pas à se mêler de ça. […] Je m’occupe de mon frère depuis vingt ans, j’ai rencontré deux fois le psychiatre », raconte ainsi Sami, le frère d’une personne vivant avec des troubles psychiques.
Dans ce baromètre de l’Unafam, le ciel est sombre. Chacun sur son banc. « La moitié des aidants ne parlent pas de la maladie de leurs proches, 53% n’en parlent pas avec leurs employeurs. Ces mises sous silence ont de graves conséquences sur les vies personnelles et professionnelles des aidants. Et ce constat alarmant ne s’améliore pas. 78% des aidants n’ont pas confiance pour la déstigmatisation de la maladie de leur proche et près de 20% ont peu d’espoir quant à l’inclusion de leur proche dans la société. »
Des proches – aujourd’hui rebaptisés « aidants » – qui se sentent parfois ignorés, souvent laissés de côté. On se sert d’eux, du moins de leur signature, pour faire hospitaliser sans le consentement la personne qui perd la tête. « C’est tout ce que l’on m’a demandé une signature, puis plus rien. J’avais le sentiment de déranger quand je cherchais simplement à avoir des nouvelles de mon père », raconte une jeune femme.
Dans ce baromètre, 71% des aidants ont le sentiment de ne pas être suffisamment accompagnés dans le parcours de soins de leur proche et 54% ne rencontrent jamais l’équipe soignante. Ces aidants, tous présents au quotidien pour leurs proches malades, « constatent qu’ils ne sont pas reconnus comme participants au processus de rétablissement de leurs proches ». « La psychiatrie doit repenser la place de l’entourage », insiste l’Unafam.
Les lettres des années 1950-60 illustrent la confiance et le lien qu’il pouvait y avoir entre des proches et un psychiatre. Les lire et les écouter soixante ans après leur rédaction, c’est aussi faire une place à ces voix souvent exclues, car c’est peut-être ce lien qui manque le plus aujourd’hui.
Éric Favereau, Philippe Artières