Paroles de malades

Le monde virtuel, des portes qui s’ouvrent pour ceux qui souffrent

Sculpture de Forestier (exposition aux Abattoirs, Toulouse)

Internet, les sites, les réseaux, les blogs, les podcasts… Voilà autant de nouvelles portes d’entrée au monde pour la personne vivant avec un trouble psychique, voire pour la personne vivant avec une interrogation psychique tout court. Un accès facile à des milliers d’écrits, de témoignages, de revendications, de conseils, de pistes d’expérimentation.

D’abord c’est une entrée simple, d’un point de vue technique. Quand on veut, où l’on veut. C’est à l’heure qui me convient, du matin ou soir, sept jours sur sept, pas de déplacement nécessaire, pas de prise de rendez-vous. Mais un autre enjeu majeur : pour la personne vivant un trouble qu’elle ne comprend pas et qui est si souvent l’objet d’une stigmatisation sociale importante, Internet propose un accès anonyme à une masse importante d’informations. Avec l’accès au monde virtuel, les portes s’ouvrent sur une abondance d’information, de l’information sur ce trouble, sur cette folie, sur cette psychiatrie, des témoignages d’autres personnes vivant avec un trouble de la même sorte, de leurs proches, des gens du quartier, des professionnels qui s’en occupent…

Frayer son chemin de rétablissement

La personne, ensuite, découvre le collectif: elle n’est pas seule à vivre son problème. Par exemple pour celle qui entend des voix, pouvoir voir d’autres personnes qui entendent des voix, les entendre raconter leur histoire, voir des vidéos, des films où témoignent de vraies personnes, comme sur le site du Réseau des entendeurs de voix (REV), où une jeune femme, diagnostiquée schizophrène paranoïde, raconte son parcours de vie, son parcours de rétablissement : après avoir été patiente psychiatrique pendant quinze ans, avoir reçu des quantités considérables de médicaments et subi 150 électrochocs, Mette s’en est finalement sortie. Pour tant de personnes, découvrir qu’on n’est pas tout seul à vivre son problème est une avancée majeure, comme le souligne un témoignage du site des Alcooliques anonymes :

« J’ai arrêté de boire à 43 ans. Ma fille avait alors 14 ans et mon fils 6 ans. Je croyais être la seule mère de famille qui buvait et qui cachait ses bouteilles. Quelle ne fut pas ma surprise d’en rencontrer d’autres autour des tables des réunions. J’avais tellement honte. Je me croyais mauvaise. Mauvaise mère, mauvaise épouse, mauvaise personne. Je me croyais faible, incapable que j’étais de résister à l’appel de l’alcool. Il m’en fallait. » Lire les témoignages d’autres personnes qui vivent le même problème, pouvoir se comparer aux autres constituent des pistes pour se frayer un chemin vers le rétablissement. Le témoignage de Kharoll-Ann, « Le rétablissement en santé mentale, c’est possible ! », sur le site Comme des Fous, donne un exemple émouvant d’un discours militant bien convaincant sur l’importance de l’objectif de rétablissement dans une politique de soins personnelle et collective.

Porter la voix des personnes vivant avec un trouble
L’accès au monde virtuel ouvre aussi la porte pour assister, même rétrospectivement, à des conférences, à des forums, à des actions collectives si essentielles dans le parcours de rétablissement, comme le soulignait Joan Sidawy au Forum du Rétablissement du 15 mars 2017 à la Cité de la Santé de la Cité des sciences et de l’industrie à Paris, discours émouvant et auquel on a un accès si facile. Il suffit juste de cliquer sur le lien : « Le rétablissement ce n’est pas un exploit personnel, c’est un travail collectif. (…) Se rétablir, c’est accepter que je ne suis pas plus différent ou plus fou qu’un autre. »

Antonin Artaud (exposition aux Abattoirs, Toulouse)

Internet permet non seulement de partager les informations sur sa situation, mais aussi de porter la voix de la personne vivant avec un trouble, de défendre son point de vue, sa situation, de lui donner des pistes pour améliorer sa vie de tous les jours. Elle n’est plus obligée de subir une parole dirigée uniquement par les institutions sanitaires, voire par l’industrie pharmaceutique. Elle n’est plus obligée d’écouter jusqu’au bout les discours agressifs et stigmatisants contre les fous, les chtarbés, les schizos… Il suffit de cliquer sur un autre lien.

Et il y en a tant : les exemples se multiplient de sites d’information sur la santé mentale qui cherchent aujourd’hui à valoriser les témoignages des personnes vivant avec un trouble psychique, que ce soit des sites institutionnels tel Psycom, ou des sites associatifs comme Solidarité Usagers Psy. D’autres sites encore tirent leur force de la comparaison des points de vue des différentes parties prenantes, les professionnels de santé, les proches, les élus, les personnes concernées, comme celui du Collectif Schizophrénies, lancé en 2017, qui propose des témoignages d’usagers, de proches, de professionnels sur différents outils à essayer, des stratégies à expérimenter dans la vie de tous les jours, ou le site PositiveMinders, site suisse qui s’appuie sur les témoignages pour aider ses internautes à accéder à de l’information, du soutien, de l’aide, voire des soins, pour toutes les difficultés psychiques. Puis, du côté des proches, le site de l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychique (Unafam), qui met tant en valeur le rôle de l’entourage avec de multiples témoignages émouvants de proches et de personnes concernées par la maladie.

Des portes qui s’ouvrent

Exposition aux Abattoirs, Toulouse

Découvrir un nouveau monde n’est pas sans risques. Les pièges possibles dans le monde virtuel sont multiples : les fake news, des informations fausses, voire volontairement truquées pour promouvoir certaines croyances, pour attirer une clientèle, une patientèle, pour défendre un point de vue biaisé par un intérêt autre. Et ensuite, les questions de confidentialité : éviter de donner son nom et ne pas donner les noms d’autres personnes vivant avec un trouble psychique. Se protéger contre les voleurs : ne pas donner son numéro de téléphone, ses informations de carte bancaire. Et puis aussi ne pas devenir addict du monde virtuel, ne plus savoir vivre ailleurs, avec le risque de se créer un être virtuel idéal qui prend toute la place dans son esprit, mais qui reste détaché du monde réel, qui reste seul, sans connexion avec autrui. Mais c’est en testant des choses, en les étudiant, en les comprenant, que l’on avance. Pouvoir comparer ces multiples sites, ces blogs, ces réseaux, pouvoir comparer les discours des différents acteurs, se frayer un chemin parmi tous ces points de vue différents, se positionner, trouver son point de vue, donner son point de vue – tant de portes qui s’ouvrent pour avancer dans sa réflexion personnelle, pour comprendre qu’on peut se rétablir, se remettre, y compris de maladies psychiques graves. Tant de portes qui s’ouvrent pour comprendre qu’on peut enfin non pas juste « se faire soigner », mais se soigner soi-même, s’entraider, rêver de nouveaux avenirs, pour soi-même, pour ses pairs.

Tim Greacen