On en Cause, mais de qui, quoi, et avec qui ?

À l’occasion de la Journée mondiale de la santé mentale du 10 octobre, la ministre de la Santé et de l’Accès aux soins, Geneviève Darrieussecq, avait convié François Bayrou, haut-commissaire au plan pour rendre compte de son rapport sur « La prise en charge des troubles psychiques et psychologiques : un enjeu majeur pour notre société ».
VIF était sur le coup, et il a pris un coup.

La première prise de parole de la nouvelle ministre a été brève : il y avait urgence, on allait prendre à bras-le-corps le problème en poursuivant l’effort de ses prédécesseurs. Soit. On allait partir du terrain. Aussi passa-t-elle la parole à François Bayrou, qui venait de diriger une étude sur la santé mentale à Pau et ses alentours pendant un an. L’ancien ministre rappela qu’« une personne sur trois souffre d’un trouble psychique au cours de sa vie, que deux millions de Français sont pris en charge chaque année en psychiatrie, que 25% de la population française consomme des anxiolytiques, antidépresseurs, somnifères et autres psychotropes, que 50% des travailleurs français ont été absents au moins une fois pour cause de détresse psychologique et que le suicide est la 1ere cause de décès maternels entre la conception et un an après l’accouchement ». Le Haut-commissaire ajoutait qu’avec les 25 milliards d’euros que l’Assurance-maladie lui consacrait chaque année, la santé mentale constituait 12,4% de ses dépenses totales, soit son premier poste, soit aussi l’équivalent de 4% de notre PIB. Du côté des soins, on comptait, poursuivait François Bayrou, 19,2% psychiatres pour 100 000 habitants, avec des variations locales considérables, et que le nombre de lits était passé de 132 535 en 1975 à 51 455 en 2020.

Par ces données sourcées mais très hétérogènes pour ne pas dire éclectiques, on comprenait que la santé mentale était une question au centre de la vie de chacun.e (souvent sous forme de comprimés dans le tiroir de la table de nuit), qu’elle était un sujet de santé publique (la France avait fait en son temps figure de modèle), mais aussi un problème économique, par son coût et par ses conséquences sur l’économie française, sur la capacité des travailleurs et travailleuses à bien travailler.

On écouta donc François Bayrou décliner les recommandations de son groupe de travail régional. La première de ces recommandations était la prévention (sensibiliser, développer des compétences, déployer des outils de repérages de fragilités…) ; il fallait ensuite « améliorer la formation de tous les acteurs de la santé mentale » (des étudiants en médecine aux métiers du social). Soit. Mais il convenait également de « mettre l’accent sur sur l’intervention précoce » : détection périnatale, puis lors des 1 000 premiers jours de l’enfant, consultations et dépistages obligatoires à 3 et 6 ans… Un quatrième volet consistait à reconstruire le parcours de soins.
Une pleine valise de propositions, comme celle de la création d’un observatoire des meilleures pratiques. Certes, il ne s’agissait que de pistes dont la ministre souligna le grand intérêt et qu’elles ne manqueraient pas de venir alimenter la politique qu’elle comptait mener.

Passé le portillon de sécurité, quitté le ministère, comment ne pas être désemparé? Il avait été question de santé mentale et à aucun moment, il n’avait été prononcé le mot souffrance. Jamais en dehors de la pandémie du Covid-19, il n’avait été question de notre contexte contemporain (local, national, international). Les deux intervenants avaient donné des chiffres, évoqué des dispositifs de « détection », de « dépistages », de « prises en charge », comme si les sujets concernés n’étaient pas concernés, comme si elles et ils n’étaient que des travailleurs actuels ou à venir, comme si la « santé mentale » n’était qu’affaire de PIB et de plan. Pourquoi ce discours de distinction entre eux et nous (« les troublés mentaux ») si cela nous concerne tous ? Pourquoi mettre à ce point l’accent sur le dépistage sauf à nier les savoirs psychanalytiques ? Pourquoi faire si peu de cas du rôle des pairs en psychiatrie ? Cela annonce-t-il une grande cause nationale qui n’interroge pas un instant le contexte général ni les parcours de vie et ne fasse pas place aux principaux intéressés ? Comme si, une fois encore, la folie était hors de l’histoire.

Philippe Artières

« La prise en charge des troubles psychiques et psychologiques : un enjeu majeur pour notre société », Haut-Commissariat au plan