
Octobre 2025, la France, du moins les villes, pavoisée de rose. Drapages, kakemonos, rubans croisés portés comme des décorations. Élan, mobilisation, parfois un peu imposée, beaucoup de bonne volonté, de solidarité comme on en voit peu aujourd’hui. Initiatives formidables, engagements citoyens, certitude d’aider dans un combat en passe d’être gagné, donner de soi-même comme ces centaines de femmes en t-shirts roses qui courent au travers de la ville le long de barrières, roses elles aussi, jusqu’au gros boudin rose de l’arche gonflable de l’arrivée.
Incidence plus forte, mortalité plus faible
Et pourtant… pas totalement à l’aise devant tout ce rose. Une impression, malgré l’admiration et l’empathie, que tout ceci est un peu décalé, à côté ou en retard, face à la vague qui nous submerge.
À l’instar du mirage qui s’éloigne au fur et à mesure que l’on croit approcher, le cancer, malgré les moyens phénoménaux consacrés au soin et à la recherche, enfonce la ligne du combat. Avec deux constats : son incidence (nombre de nouveaux cas), même en tenant compte du vieillissement de la population, a nettement augmenté au cours des vingt dernières années et la France (comparaison 2025) est l’un des pays du monde (peut-être LE pays) dans lequel cette incidence est la plus élevée. Dire que ceci pourrait être dû à un meilleur dépistage, voire à un « sur-diagnostic », ne résiste pas à l’analyse. Ainsi, pour chaque victoire, la première cause de mortalité (27% des décès) progresse sur un nouveau front, que ce soit par une augmentation spectaculaire d’incidence (pancréas) ou, pire encore, en touchant des populations nettement plus jeunes (les 20-40 ans ; sein, colon) avec des formes de plus mauvais pronostic.
La comparaison récemment parue dans The Lancet – celle qui nous classe en tête de la fréquence mondiale – apporte une autre information capitale, source de satisfaction, voire de fierté mais aussi de honte : la France est un pays qui se distingue par une mortalité par cancer plus faible qu’ailleurs. Cette dernière a, de fait, diminué au cours de ces dix dernières années. Incidence plus forte et mortalité plus faible, cela a une traduction claire : le soin (ou le budget consacré aux soins) est bon ou excellent, la prévention insuffisante ou nulle et/ou il existe chez nous des facteurs de risque particuliers ou plus répandus qu’ailleurs.
Et c’est le volet oublié et pourtant capital.
La prévention est le b.a.-ba de de toute action de santé publique digne de ce nom. Essayer de comprendre ce qui ne va pas. Mais… pas chez nous. Un mal français, une caractéristique, visiblement assumée, voire revendiquée : toujours plus de moyens pour le soin et toujours aussi peu pour la prévention. Se jouant des mots (la prévention est évidemment de tous les programmes : Assurance maladie, associations, Ligue), le constat est là. C’est toujours la fuite en avant comme pour oublier les chiffres qui font mal et indiquent là où il faudrait chercher et finir quand même par intervenir. Comme si les études et les données sur la pollution environnementale, sur les effets des toxiques agricoles, industriels et alimentaires étaient faites pour rester dans les greniers de la recherche, même si les médias s’en font parfois écho avant de passer à autre chose.
Un symbole : le président de la République lui-même promouvant, en juin 2024 dans un entretien accordé au journal Elle, le recours au traitement hormonal des symptômes de la ménopause alors que la question d’un risque accru de cancer du sein lié à leur utilisation n’est pas tranchée et que l’incidence de ce dernier a presque doublé en France au cours des trente dernières années. À l’inverse du vingtième siècle, les femmes sont aujourd’hui les premières victimes du cancer. Les exemples sont partout et les conséquences (potentielles ou subies) dramatiques.
Comment peut-on accepter ce record sans se dire qu’il y a quand même quelque chose qui ne va pas ? Pourquoi ne pas se donner les moyens de le savoir ? D’un point de vue éthique, santé publique ou constitutionnel (le principe de précaution !), c’est invraisemblable et même inqualifiable. D’autant plus qu’identifier des expositions qui pourraient être à risque, savoir ce qui nous distingue de nos voisins, n’est, a priori, ni difficile ni coûteux, du moins à l’aune des moyens investis dans le soin et la recherche fondamentale.
Bon, c’est vrai, l’épisode est passé et nous sommes déjà en novembre…
Bernard Bégaud