Rien ne va plus, la psychiatrie s’effondre, les discours catastrophistes se multiplient. On se plaint de tous côtés, et il ne se passe rien.
Comment sortir des clichés, des redites, des plaintes auto-satisfaites, des discours pour se déculpabiliser ? Nous ouvrons un espace de tribunes pour tenter de casser ce ronronnement un peu sinistre.
Pour commencer, voici des extraits d’une longue tribune, parue sur plusieurs sites, dont Médiapart et Brut. Des propos catégoriques, brutaux, mais qui ont le mérite de réveiller et d’interroger. Et surtout, qui viennent des premiers concernés : les malades.
On en attend d’autres.
« Nous voulons rebondir sur l’analyse qui est faite de la situation de la psychiatrie française et proposer une alternative.
Nous témoignons notre soutien aux nombreux·ses professionnel·le·s que l’on n’entend pas et qui, dès 2018, se sont mis·es en grève pour dénoncer la déshumanisation des soins. Mais plus que tout, nous souhaitons être entendu·e·s, parce que notre parole est invisibilisée quotidiennement, parce que de la pluralité de nos vécus rejaillit une même envie de participer à la vie démocratique.
Nous voulons sortir du simple rôle de bénéficiaires des services de santé mentale qui nous est assigné, pour trouver ensemble des solutions à nos besoins en partant du constat que le besoin invoqué d’hospitaliser les gens qui vont mal en psychiatrie n’en est en réalité pas un. Personne ne veut finir à l’hôpital.
Nous souhaitons interroger le processus de psychiatrisation de nos vies dont l’espérance est réduite en moyenne de 15 ans, en partie à cause des effets des médicaments qu’on nous impose en l’absence de toute base légale. Si tout le malaise social ne relève pas de la psychiatrie, nous sommes trop nombreux·ses à être lié·e·s à elle par la contrainte, que celle-ci soit explicite ou implicite. Il y a parmi nous des personnes qui souffrent et ont besoin d’aide, mais il y a aussi des personnes qui, encore en 2022, sont maltraitées parce qu’elles sont différentes. Il y a d’autres communautés qui se battent pour quitter le carcan de la psychiatrie qui ne veut pas les lâcher.
L’hospitalisation est tristement devenue une menace pour celles et ceux qui en ont fait l’expérience ou qui seraient tenté·e·s de mettre fin à leurs jours. Si pour beaucoup ce sont « des heures et des jours d’attente sur un brancard ou une chaise dans un couloir », l’usage veut qu’on nous retienne de partir en nous attachant avec des sangles de contention. Non, ce recours à la contention et aux chambres d’isolement n’est pas en hausse parce que les « soignants peuvent, parfois, être dépassés par la situation ». La contention et l’isolement sont redevenus des piliers de la pratique psychiatrique française et décider de leur abolition serait un progrès incontestable. Il n’y a pas si longtemps, on nous expliquait que c’était de la « réanimation psychique ». […]
Nous refusons de réduire nos identités à des maladies ou de la souffrance. Nos vies ont de la valeur et, même si elles peuvent parfois comporter des passages douloureux, des opportunités et des relations gâchées, et même si parfois on en porte encore les marques, nos vies sont aussi remplies de moments uniques, d’émotions intenses et de création. Ce n’est pas notre folie qui fait de nous des personnes à part, mais c’est le résultat de choix de société !
Il nous est insupportable de voir les discussions nécessaires sur la santé mentale être accaparées par de faux débats et de fausses informations. La santé reste un droit fondamental, aussi, nous voulons témoigner notre ras-le-bol de cette psychiatrie française avec qui il est impossible de discuter, impossible de construire, impossible de changer. […]
L’état de la psychiatrie dans le monde est mauvais, c’est vrai, mais ce qui nous choque en France, ce n’est pas le mauvais niveau de nos soins de santé mentale, c’est l’absence de volonté d’amélioration ou de volonté politique, alors que d’autres pays ont assumé d’autres choix respectueux des droits humains, démontrant que la maltraitance institutionnelle n’est pas une fatalité ou une pure question de moyens. Les alternatives à l’hospitalisation, contrainte ou non, existent, et sont même expérimentées en France dans quelques villes. Augmenter les budgets pour déployer plus de mauvaises pratiques et faire rêver les personnes avec des fables neuropharmacologiques est tout ce que la psychiatrie française propose et fait. […]
Nous demandons que s’engage un processus démocratique pour que nous puissions enfin avoir des lois qui aident et respectent les droits humains.
Nous demandons la mise en application des conventions internationales et l’abolition immédiate de la contention, de l’isolement, et de toute pratique qui ne soit pas basée sur le consentement libre et éclairé. […]
Nous demandons que les stratégies de santé mentale soient coconstruites par le monde professionnel et usager. La démocratie sanitaire ne permet pas de participer aux politiques qui nous concernent. […]
Nous sommes conscient·e·s de la peur que peut générer le changement – les personnes vues comme anormales peuvent être aussi saisies de panique face au sort qu’on leur réserve – mais nous choisissons de nous saisir de cette occasion pour rappeler les opportunités devant vous. S’il y a une chose que nous avons apprise dans nos moments de douleur, c’est que quand tout va mal, on ne risque rien à changer.
Donnez une chance à la démocratie en santé. »
Signataires : Anna Baleige (chercheuse, folle et psychiatre), Héloïse Koenig (autrice du livre Barge), Lee Antoine (pair-aidant en santé mentale, survivant de la psychiatrie, créateur d’En tant que telle), Léna Dormeau (chercheuse en philosophie politique et santé mentale), Pauline Rhenter (avocate au Barreau de Marseille), SNG, Natacha Guiller (actrice et artiste en santé mentale), Association Tenir Tête, Cercle de réflexion et de proposition d’actions sur la psychiatrie (CRPA), Collectif pour la liberté d’expression des personnes autistes (Cle Autistes), Comme des fous, Les Folifols, Paye ta Psychophobie