Ménopause, le retour déroutant des traitements hormonaux

Emmanuel Macron avait lancé le débat lors d’une interview au journal Elle en mai dernier. Puis plusieurs gynécologues français, le 18 octobre, Journée mondiale de la ménopause, ont continué, dénonçant, en l’assimilant à une catastrophe, la chute vertigineuse du recours aux traitements hormonaux de substitution (THS) en période de ménopause. Étonnant point de départ.
Quasiment systématique il y a vingt-cinq ans, ce traitement ne concerne aujourd’hui qu’environ 6% des femmes françaises de 50 à 60 ans.

Dans le viseur de ces partisans inconditionnels, l’étude américaine WHI (Women’s Health Initiative) publiée dans la très influente revue scientifique JAMA, le 17 juillet 2002 ; ses promoteurs l’avaient interrompue prématurément du fait d’un excès de cancers du sein et d’accidents cardiovasculaires dans le groupe des femmes traitées par THS. Du fait de cet excès de risque, il ne leur semblait pas éthique de mener l’étude jusqu’à son terme. À l’époque, la publication avait fait grand bruit et singulièrement douché l’enthousiasme pour le THS, tant chez les femmes que chez les prescripteurs.

Des augmentations tout sauf anodines

Pour ces gynécologues partisans du THS, médiatiquement et politiquement très actifs, la WHI, pourtant « biaisée » et isolée, a ruiné la médicalisation de la ménopause visant à prévenir ses complications graves comme les fractures ostéoporotiques. De plus (argument en permanence resservi depuis vingt ans), les hormones utilisées aux USA, et donc dans la WHI, ne sont pas les mêmes que celles prescrites en France. Les françaises, étant d’origine naturelle, seraient dénuées de ces risques. D’où l’affirmation quelque peu péremptoire : « Ces complications n’ont pas du tout été constatées chez nous ». Ah ! L’exception française, quel réconfort…

Dommage, mais la réalité est quelque peu différente, moins simpliste… D’abord, le Women’s Health Intiative Trial n’est pas une étude observationnelle mais un essai d’intervention avec tirage au sort initial (traitement ou non), justement pour minimiser les biais qui auraient pu être liés à une non-comparabilité des groupes. Ensuite, il est quelque peu malhonnête (car ces spécialistes ne peuvent l’ignorer) de laisser entendre que la WHI est la seule à avoir montré un risque majoré de cancer du sein et de complications cardiovasculaires associé au THS. On en compte au moins 6, dont, en 2013, un nouvel essai par la WHI qui confirme, avec un protocole différent, les risques accrus et conclut que la balance bénéfice/risque du THS est, pour le moins, mitigée. Également, des études épidémiologiques menées dans différents pays dont celle coordonnée en France (2004 et 2005) par Françoise Clavel sur la cohorte E3M (50 000 femmes), qui retrouve ces risques augmentés et contredit donc la théorie des bonnes hormones à la française.

Les augmentations de risque constatées dans ces études sont tout sauf anodines : de 15 à 43% ; on imagine ce que cela pourrait produire sur des millions de femmes. Elles concernent essentiellement, mais pas uniquement, les traitements prolongés (dix ans et plus) comme on en prescrivait souvent à l’époque. Il est également vrai, mais ses défenseurs n’en font pas trop état, que les preuves de l’efficacité du THS dans la prévention des fractures ostéoporotiques sont, pour l’instant, bien maigres. Là est pourtant le point central : le caractère acceptable ou non de ces risques, qui de toutes façons ne sont pas nuls, dépend directement de l’importance du bénéfice attendu ; pas grand-chose de récent et de convaincant à ce sujet.

À l’époque, plusieurs groupes d’experts pluridisciplinaires, libres de conflits d’intérêt, avaient, après analyse des données disponibles, exprimé leurs réserves quant à la balance bénéfice/risque dd THS. Par exemple, le rapport de 78 pages (11 mai 2004 ; facilement trouvable en ligne), réalisé à la demande du ministre de la Santé par l’Anaes (Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé, le précurseur de la Haute Autorité de santé), l’Agence du médicament et l’Inserm, écrit par une vingtaine d’experts, dont des gynécologues, qui émettait de sérieuses réserves sur le rapport bénéfice/risque du THS et montrait, après calculs, que chez les 3,5 millions de femmes de 50 à 60 ans traitées à l’époque en France, les effets graves induits devaient être plus nombreux que ceux évités (2 645 vs 2 179).

Resterait à refaire ce travail en considérant ce qui est apparu de nouveau au cours de ces vingt dernières années. Espérons que ce sera l’objectif premier de la mission parlementaire récemment confiée à la députée Stéphanie Rist : analyser l’ensemble des données disponibles de manière non partisane pour définir une position ou du moins des recommandations fondées sur les faits et non sur la caricature ou la conviction partisane. On ne peut pas jouer, ni dans un sens ni dans l’autre, avec la santé de millions de femmes. Le choix doit, in fine, leur appartenir ce qui suppose qu’elles soient, ainsi que les prescripteurs, clairement, totalement et objectivement informées.

Bernard Bégaud