Est-ce de l’art brut, avant que l’expression n’existe ? Un étrange objet figure parmi les manuscrits de Victor Hugo, Pierre Guyotat ou autres Henri Michaux, dans l’un des cabinets qui composent l’exposition « Écrire, c’est dessiner » organisée autour de l’œuvre de l’artiste libanaise Etel Adnan (1925-2021) au Centre Pompidou-Metz.
Ce sont deux des trois volumes, découverts en 2010 chez un marchand de livres anciens. Son auteur est un inconnu du XIXe siècle : Pierre Richard est né en 1802 en Moselle, dans une famille catholique. Orphelin dès l’âge de 2 ans, mort en 1879 dans l’asile de Gorze près de Metz. Paysan, il a été dépossédé de tous ses biens par son demi-frère. Et a passé dans cet asile psychiatrique les dix dernières années de son existence.
Au cours de cette vie enfermée, il réalise de nombreuses inscriptions sur l’un des ouvrages ésotériques, L’Enchiridion du pape Léon,dont il avait fait l’acquisition. Puis, il confectionne deux épais albums sur lesquels il a produit une écriture dessinée. Une écriture des plus curieuses que l’artiste Annette Messager décrit ainsi : « Les dessins, souvent enfermés dans des cercles, sont accompagnés d’écritures, de calligraphies, de cryptogrammes sublimes de beauté, d’intensité. La démesure de ses multiples volumes, tous ornés d’écritures et de signes mystérieux, semble prouver l’exaltation éclatante de Pierre Richard, d’une violence contenue. »
Ces deux albums sont de grands formats, faisant plus de trente centimètres de hauteur. Ils sont couverts de représentations de talismans, circulaires, souvent constitués en ensemble. Et par les effets de transparence, ils produisent d’autres formes encore. Pierre Richard invente une langue toute personnelle, faite de mots lisibles, d’abréviations et néologismes.
Comme l’historien de l’art Baptiste Brun le souligne, ces pièces sont les archives d’un monde enfoui, et « l’un des grands mérites de cette édition est justement de ne pas sombrer dans cet écueil et d’éviter tant que faire se peut de reconduire certains tropes du monde de l’art brut et de ses interprètes et zélateurs. Là, le mythe, voire la mystification, de l’authenticité et de la création pure évince trop souvent toute étude rigoureuse de l’histoire, de l’usage ou de la fonction de ce que Jean Dubuffet nommait les “ouvrages” des “auteurs” d’art brut. »
Cette rencontre avec les albums de Pierre Richard oblige à historiciser ces « délires graphiques », qui sont sans doute les archives « rentrées » de ce milieu du XIXe siècle, une source tout aussi intéressante et riche que des correspondances familiales de la même période ou celles de nobles archives notariales.
Philippe Artières
Exposition « Écrire, c’est dessiner », Centre Pompidou-Metz jusqu’au 21 février 2022.
Pierre Richard (1802-1879), Grimoires illuminés, François et Mireille Pétry, Nicolas Weill-Parrot, Jean-Pierre Brach, Marc Decimo, Lise Maurer et Christophe Boulanger (préf. Annette Messager) ; Paris, Éditons Artulis, Pierrette Turlais, 2019 (280 p.).