Il y a quelque chose de très attachant chez Patrick Aeberhard, cardiologue, ancien président de Médecins du monde, et auteur d’un livre autobiographique, Dans les fracas du monde, c’est qu’il se retrouve toujours là où le malheur est à son apogée.
Ce n’est pourtant, ni un baroudeur, ni un aventurier. Il est là. Il soigne. Il résiste, et il continue. Ainsi, alors qu’il sort de l’enterrement d’André Glucksmann, il se retrouve plongé dans les attentats du 13 novembre 2015. « Je rentrais chez moi. J’ai déboulé sur la place du Xe arrondissement où se trouve le café la Bonne Bière, où je déjeune tous les samedis avec mes enfants. J’ai vu des gens par terre. Je me suis précipité. J’ai d’abord cru à un règlement de comptes. Il était 21h30. J’ai vu une jeune femme qui avait reçu une balle dans la cuisse. Et un homme avec une fracture ouverte. Avec le boulanger du quartier, nous avons fait un garrot à la jeune blessée. Je me suis relevé pour pénétrer à l’intérieur du café. Un homme m’a dit « couchez-vous, ils vont revenir ». J’ai su après que ce garçon se préparait à entrer dans la police. L’un des terroristes a effectivement tiré sur la terrasse du restaurant d’en face, Casa Nostra. J’ai été dans son axe de tir. Puis il a mis en joue deux femmes. Sa kalachnikov, heureusement, s’est enrayée. Sur place, j’ai retrouvé mon ami le médecin anesthésiste Michel Bonnot. Il habite le quartier, il est venu aider. L’endroit est devenu comme un hôpital de guerre. »
Comme marqué par la guerre. Né à Paris quelques jours avant la fin de la seconde guerre mondiale, d’une mère irlandaise et d’un père suisse, il sera, en tout cas, un des French doctors les plus actifs, mais aussi un des moins médiatisés, ce qu’il avoue gentiment regretter. Patrick Aeberhard est un mélange de candeur et de principes. On a du mal, parfois, à saisir ce qui le guide. Le stress de la guerre ? La douceur du soin ? Le plaisir d’être là où cela se passe, d’être utile ? Ou est-ce tout simplement l’amitié qui le porte – comme celle qu’il a eue avec Arnaud Marty-Lavauzelle qui deviendra président de Aides et qui le fera être un des tout premiers médecins à s’engager dans la guerre du Biafra ? C’est au Biafra aussi qu’il nouera un lien indéfectible avec Bernard Kouchner.
Cardiologue au centre cardiologique du Nord à Saint-Denis, ente deux électro-cardiogrammes, Patrick Aeberhard partira en de multiples missions. Participant à la fondation de Médecins sans frontières puis à celle de Médecins du monde, qu’il présidera de 1987 à 1989. Patrick Aeberhard est sur tous les fronts, menant ainsi de nombreuses missions humanitaires, en particulier au Liban, en Afghanistan, au Salvador, en Éthiopie, au Brésil, en Afrique du Sud, au Rwanda, en ex–Yougoslavie, en Irak, en Haïti. Etc. Et ces jours-ci, il est encore en Mauritanie à monter des stages de formation en cardiologie. Politique aussi, il l’a été. Un temps, au cabinet de Bernard Kouchner, ministre de la Santé, où il est chargé de la toxicomanie, de l’exclusion puis de la prévention des conduites dopantes. Patrick ne lâchera jamais ce dossier « de la réduction des risques », partisan de la dépénalisation des drogues douces, et militant de la réduction des risques.
Son livre lui ressemble. Il raconte tous ces épisodes. Les mettant à plat les uns après les autres, chapitre après chapitre. On note qu’il ne s’est jamais trompé de camp. Joliment nommé Dans les fracas du monde, on reste néanmoins surpris que de tous ces voyages dramatiques il donne le sentiment d’en sortir indemne, « sauf », dit-il, « du tremblement de terre en Arménie ».
Patrick Aeberhard est un fidèle, un médecin surtout. Son grand ami, Arnaud, disait : « Même dans la pire des catastrophes, il y a toujours quelque chose à faire ». Patrick, lui, écrit, en écho, à la fin de son livre : « La responsabilité de protéger, c’est l’histoire d’un grand succès et d’une défaite provisoire ». Avec ce livre, cette histoire fait désormais mémoire.
Éric Favereau
Dans les fracas du monde, Patrick Aeberhard, éditions Calmann-Lévy, 215 pages (17,5 €)