Les débats de VIF : Pauvres étudiants. S’instruire le ventre vide ?

Étudiants, lors de la Marche pour le climat (Paul Machto)

Pauvres et étudiants… Pauvres au point de ne pas avoir assez pour se nourrir, pauvres dans un des pays les plus riches au monde.
Ce fut une découverte pour une grande partie de la société. Et une stupeur. Il faut revenir en mars 2020 pour se rafraîchir la mémoire. Choc de rentrer en première année à l’université. Choc de l’isolement lié au confinement et à la perte de contact. Choc de la vidéoconférence favorisant les décrochages. Dans ce contexte des apprentissages chamboulés, s’est ajouté les mois suivants l’apparition de dettes, pour payer son logement, assurer son alimentation, parfois ses soins médicaux. Dettes elles-mêmes liées à un 4e choc : celui d’avoir perdu son petit boulot qui assurait 30% de ses ressources.

Je me souviens d’une lettre ouverte à la ministre publiée par des étudiants :
« Madame La Ministre,
De nombreux étudiants un peu partout en France, confinés en résidence universitaire et en ville ne peuvent manger à leur faim du fait de la fermeture des restaurants universitaires depuis le 16 mars. Ne faisant qu’un repas rudimentaire par jour, peuvent-ils suivre les cours en ligne ? Ils doivent être évalués en contrôle continu pour valider leur année. Ces conditions déficitaires ne créent pas un traitement égalitaire avec les étudiants qui ont pu rejoindre leur domicile familial.
Nous vous demandons de mettre en place en toute urgence un plan de secours pour aider les étudiants dans le besoin afin qu’ils puissent s’alimenter correctement en organisant une distribution alimentaire sur les campus.Nous vous demandons de suspendre les loyers des chambres universitaires et d’apporter une aide aux étudiants sans revenus, logés en ville.Nous vous demandons d’assurer l’égalité des conditions d’évaluation des étudiants (…) 
»

Déjà tout était sur la table. Les confinements avaient révélé très tôt l’effondrement des petits boulots, les parents qui n’en peuvent plus, les bourses au montant insuffisant, l’appel à l’aide. Et que dire de cette attente de 298 jours pour qu’enfin le Crous se réveille, attendant les ordres d’en haut, pour donner un repas à 1 euro !
Dix mois à attendre que le Prince lève le drapeau ? Dix mois à regarder les files d’attentes des étudiants au Secours populaire !

Répétons-le. Les étudiants ont souffert d’avoir faim de nourriture, d’enseignement, de transmission, d’amitié entre eux, de sociabilité indispensable à l’énergie.
En retour, des universités fermées. Une cantine fermée. Des hectares de jardins fermés.
L’insouciance des administrations. La paralysie des chefs.
Puis des réouvertures du bout des ongles. Avec de nombreux propos méfiants.
Le « virus ne circulait pas dans les écoles, collèges et lycées », disait-on, tandis que d’autres affirmaient que l’université serait un lieu à HAUTE retransmission, hors de question d’ouvrir, ou alors après avoir fait un test ! Autant dire !

Et que dire des nombreuses alertes délivrées par la presse. Je pense notamment à cette lettre ouverte dans Le Monde, de deux vice-présidentes d’université, avec pour titre :

« Nos étudiants ne doivent plus avoir faim ! Appel pour un plan « étudiants » national »

Juste un extrait :
« (…) Sur nos campus, dans les résidences universitaires, dans leurs chambres, studios, colocations, beaucoup de nos étudiants ont faim.
Nous ne découvrons pas la réalité sordide et douloureuse de la précarité des étudiants, qui n’accèdent pas aux minimas sociaux et sont trop nombreux à vivre d’expédients et de solutions bancales, de débrouilles improvisées et instables. Le montant de la bourse sur critères sociaux la plus élevée, qui n’est touchée que par 6,7% de la totalité des boursiers, est d’à peine plus de 5 550 euros par an, versés sur 10 mois (pas de bourse en été).

Nous ne découvrons pas l’existence de ces publics particulièrement fragiles. Nous savons que nos étudiants salariés jonglent entre leurs petits boulots, les découverts bancaires, les dettes et les impératifs universitaires, cours, examens, révisions. Que nos étudiants en exil se débattent pour conquérir un statut administratif stable, maîtriser notre langue et reprendre en dépit des traumatismes vécus un cursus de formation. Nos étudiants isolés, nos étudiants internationaux notamment, portant si loin de chez eux l’espoir de leurs proches, nos étudiants jeunes parents aux faibles ressources, qui luttent au quotidien sans parfois les indispensables soutiens familiaux qui nous accompagnent presque tous.

(…) Trois mesures simples pourraient, à court terme, endiguer si ce n’est résoudre cette crise devenant structurelle. 
1 – Le gel des loyers dans les résidences du réseau des Crous pour les étudiants qui n’ont pas pu quitter leur 9m2 parce qu’ils ne disposent pas d’autres solutions.
2 – La réouverture d’un Restaurant Universitaire par campus distribuant, en vente à emporter, un repas par jour pour un tarif qui devrait être inférieur au ticket habituel.
3 – Le maintien aux mois de juillet et août du versement des bourses sur critères sociaux, qui habituellement ne sont dispensées que sur 10 mois, les étudiants étant réputés libres de travailler pour se constituer un pécule en été. Nos étudiants sont une richesse, une promesse d’avenir, ils sont volontaires, engagés, solidaires, et avides d’apprendre. Ils ne peuvent avoir faim. Il est de notre devoir collectif de les aider. 
»

Voilà. Le Covid a été un terrible miroir, révélant les failles et les fragilités de notre société, en particulier les conditions et modes de vie de milliers d’étudiants, souvent isolés, aux ressources limitées. Nous sommes loin de l’image d’Épinal d’étudiants aisés, heureux, avec devant eux une vie séduisante et colorée. Ce n’est évidemment pas la seule cause. La massification de l’université, depuis vingt ans, a changé la donne. Déjà en 2004, la Fédération des associations générales étudiantes (Fage) et le Secours populaire français lançaient une campagne de solidarité intitulée « Danger, étudiant ventre vide ».

L’ÉPI à Compiègne

Que faire, que dire ? Certes, lors de la pandémie Covid, les files d’étudiants devant les points de distribution alimentaire ont mis pendant quelques temps la précarité étudiante au cœur de l’actualité et fin 2022, le gouvernement a décidé une aide exceptionnelle de dix millions d’euros destinée au soutien des étudiants les plus précaires. Cette aide ponctuelle ne résout rien ou très peu. Pas de mesures pérennes, pourtant si nécessaires, comme la révision du système des bourses (critères d’attribution injustes, montants inadaptés – un tiers des boursiers ne reçoit que 100 euros par mois).
Et tout s’enchaîne : ce bouleversement a aggravé la précarité, avec un véritable rebond des demandes de secours, de logement, de soins psychiques et de soins dédiés aux étudiants. Sans parler de la deuxième cause de mortalité chez les 18-25 ans, le suicide. Le soin à l’université, peut-on en parler ? On rêve d’entendre un « quoi qu’il en coûte ».

Étudiants pauvres, mais aussi étudiants solidaires, avec une foule d’initiatives qui ont vu le jour pour tenter d’apporter des solutions, mais souvent aussi de la nourriture. Comme l’association ÉPI à l’université de Compiègne, une ÉPicerie Innovante créée en partant du constat de la dégradation des conditions de vie étudiantes. Une étude révélait qu’en 2012, 10 à 15% des étudiants ne mangeaient pas à leur faim. ÉPI a ouvert à leur attention une épicerie solidaire proposant aide alimentaire et produits d’entretien aux étudiants compiégnois.

Devant ces fragilités étudiantes, quelle analyse faire ? Quelles actions mener ?

Jean-François Laé