Café-croissant
Le train, contrairement à l’avion, est propice au travail, même quand il est retardé. Le 7 juin, c’est 20 minutes de retard. Le temps donc d’aller prendre un café-croissant à la brasserie en face de la gare. Le prix ? 5,90 euros. Ce qui nous ramène aux pénuries de médicaments.
Ce café-croissant, c’est plus du double que ce que coûte en pharmacie un traitement antibiotique (amoxicilline-acide clavulanique ou Augmentin®) pour un enfant : 2,58 euros le flacon de 30 ml (112 doses fractionnables)… pipette comprise. Même ordre de grandeur pour presque les tous les médicaments essentiels : la prednisolone (corticoïde de référence, vital pour de nombreux malades) : 3,18 euros les 20 comprimés en dosage de 20 mg ; le méthotrexate, référence dans plusieurs types de cancers et dans la polyarthrite rhumatoïde : 4,49 euros les 24 comprimés en dosage 2,5 mg. Tous les grands, les plus indispensables, à force de compresser leurs prix (deal maléfique avec l’industrie pharmaceutique pour pouvoir payer très cher des innovations) ont vu, en bonne part, leur fabrication délocalisée avec, à la clé, des ruptures d’approvisionnement qui perdurent et s’aggravent malgré une communication se voulant rassurante mais à laquelle plus grand monde ne croit.
Le méthotrexate, justement, autrefois fabriqué en France et exporté par le laboratoire Roger Bellon (disparu dans le conglomérat Sanofi) s’est retrouvé, pour sa forme injectable, en rupture totale d’approvisionnement en France en avril dernier, bien que les autorités sanitaires nous aient assuré que des stocks tampons existaient comme pour tous les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur. C’est donc la Slovénie qui est venue à notre secours en autorisant ses fournisseurs à nous délivrer les quantités les plus indispensables pour passer ce cap. On a du mal à croire qu’une menace sanitaire aussi majeure ne devienne pas une priorité nationale et ne soit traitée que par des mesures à portée limitée et une communication sans cesse contredite par les faits.
Le prix du silence
Passage devant le Relais H avant le quai d’embarquement. Deux photos de Une avec le même portrait en gros plan de Donald Trump. L’un des hebdomadaires revient sur la question de l’influence des affaires qui le visent sur ses chances de réélection. Quel rapport entre Stéphanie Clifford (alias Stormy Daniels), VIF et le médicament ? Bien que signalé à l’époque (mai 2018 : La Tribune de Genève, Reuters, etc.), le détail est depuis passé sous silence : au moment de l’élection de Donald Trump (novembre 2016), le laboratoire pharmaceutique suisse Novartis avait passé, avec la société « bidon » Essential Consultants de l’avocat Michael Cohen, très proche collaborateur du futur président, un « contrat » portant sur la politique de santé de la nouvelle administration des États-Unis. En termes plus clairs, une allégeance de 400 000 dollars pouvant se révéler très rentable pour l’industriel. Comme l’a révélé l’enquête, c’est cette somme qui a permis à Michael Cohen de verser, à la demande de Donald Trump, les fameux 130 000 dollars supposés acheter le silence de Stormy Daniels. La révélation de ce « contrat » par la presse a contraint Novartis à pousser son cadre signataire, Felix R. Ehrat, vers une retraite anticipée en reconnaissant une « erreur ».
Anecdotique ? Déplacé ? Pas tant que cela. Cette découverte met à jour les circuits d’influence, parfois de corruption, utilisés par certains groupes pharmaceutiques pour tenter de se garantir des décisions politiques (entendre : économiques) favorables. En France, malgré plusieurs affaires révélées, la transparence exigée et exhibée se limite encore et toujours au « lampiste » qu’est devenu, dans le processus de décision, le professionnel de santé. Au moment où l’obscurantisme complotiste gagne du terrain partout, c’est clairement la pire des choses et annonciateur de tristes lendemains, mais « who cares ? »
Ménopause
Plus loin, en bout de présentoir, un magazine féminin revient sur la ménopause et son « traitement » (curieuse appellation pour un phénomène physiologique). À l’intérieur, évidemment, il y a un paragraphe sur le fait qu’en France, seules 6 à 7% des femmes utilisent un traitement hormonal substitutif (THS). Le débat étant complexe et pollué par des prises de position idéologiques et des données contradictoires, on doit rester sur l’essentiel pour une question qui concerne chaque année quelques 450 000 femmes en France.
Autrefois, presque systématiquement prescrits, ces THS ont été depuis en grande part abandonnés suite aux grandes études épidémiologiques (par exemple : la Women Health Initiative en 2002 aux États-Unis ou la cohorte E3N en France) qui ont montré qu’un traitement prolongé (5 ans ou plus) augmentait significativement le risque de cancer du sein, et, à un moindre degré, celui de l’utérus. Au-delà des polémiques, un peu secondaires, sur les rôles respectifs des œstrogènes et des progestatifs ou, pour ces derniers, de l’alléguée innocuité de la progestérone naturelle, les chiffres sont clairs et fort inquiétants : l’augmentation du risque (de 10% à plus de 40%, selon les produits et les durées) n’a rien d’anecdotique pour le plus fréquent des cancers de la femme. La politique du THS systématique est probablement la cause de millions de cancers supplémentaires à travers le monde. Fait rare, les données de ces études sont confortées par la corrélation observée entre le nombre de traitements en France et l’incidence du cancer du sein : montée qui a suivi la généralisation du THS puis baisse au cours des vingt ans ayant suivi le désamour qu’il a connu à partir de 2002.
Ces données, pour une fois robustes, ne doivent pas être oubliées au moment où plusieurs voix s’élèvent du côté de l’industrie pharmaceutique, des influenceurs mais aussi du président de la République lors d’un entretien au journal Elle, pour s’inquiéter du fait que dans notre pays « seulement » 6% des femmes bénéficient d’un traitement de leur ménopause. Du fait de l’enjeu, le débat mérite certes d’être ouvert, mais en toute indépendance et objectivité pour éviter que ce soit les femmes les plus fragiles et les moins informées qui aient à en souffrir.
Bernard Bégaud