Étienne Moullet est tétraplégique depuis l’adolescence, ingénieur et docteur en sciences. Il a participé au Cybathlon, cette compétition de robots d’assistance. Il l’a fait avec l’équipe SmartArm de l’Institut des systèmes intelligents et de robotique (ISIR, Sorbonne Université) dirigée par Nathanaël Jarrassé.
Comment ce Cybathlon s’est-il passé ?
Étienne Moullet : Ce fut une expérience humaine extraordinaire. J’y suis allé avec un esprit d’ingénieur-chercheur, j’y allais par curiosité, mais je me suis pris au jeu de la compétition et j’ai fini deuxième. L’ISIR a présenté trois équipes. L’équipe historique de Nathanaël avec Christophe Huchet qui portait une prothèse de membre supérieur incluant le coude, moi avec le robot d’assistance Kinova fixé à mon fauteuil, et l’équipe de Ludovic Saint-Bauzel et Fabien Vérité avec un dispositif de suppléance pour aveugles piloté par Salomé Nashed. Nous étions nombreux, une vingtaine de personnes du labo. L’organisation du Cybathlon a été très professionnelle, nous nous préparions dans des salles spéciales, on se serait cru aux Jeux paralympiques. Nous avons eu, évidemment, quelques incidents. La veille de la course de qualification, j’ai été malade, j’ai mal dormi. Ensuite, l’équipe a dû modifier le mode de communication du bouton contrôlant l’ouverture et la fermeture de la pince du robot en urgence. Il était prévu en WIFI et comme beaucoup d’équipes avaient fait ce choix, la connexion était instable. Nous ne nous en sommes rendu compte que lors des tout derniers essais sur piste, à moins de deux heures de la première course. Nathanaël, Alexis et Robin ont œuvré jusqu’au dernier moment pour implémenter une communication filaire.
Comment le robot était-il contrôlé ?
É. M : Le robot Kinova est un mobile articulé qui ressemble à un bras humain. Je le contrôlais de deux manières complémentaires. Ma main gauche était filmée par une caméra et je pouvais utiliser ma main comme un joystick en trois dimensions pour contrôler le déplacement de l’extrémité du robot. De manière complémentaire, j’utilisais, de la main droite, une tablette avec plusieurs joysticks virtuels qui me permettaient de déplacer l’extrémité du robot dans l’espace et de contrôler son orientation. C’était mon choix de manipuler le robot en direct plutôt que de programmer des tâches, ce qui aurait été possible en raison de leur disposition standardisée. D’autres concurrents avaient fait le choix de programmer leur robot. Mais, en cas d’incident (par exemple si la bouteille est déplacée), ils n’ont pas pu corriger le programme en direct et ils ont raté la tâche.
Ce robot pourrait-il t’être utile dans la vie quotidienne ?
É. M : J’ai une certaine mobilité des bras, et j’aurais certainement pu faire certaines épreuves plus rapidement sans utiliser le robot. Par contre, d’autres épreuves auraient été compliquées sans lui. Par exemple, l’épreuve de la bouteille à ramasser par terre ou celle du lave-vaisselle. C’est compliqué pour moi de prendre des objets quand ils ne sont pas posés sur une table ou s’ils sont orientés n’importe comment. Le robot pourrait être encore plus utile pour des personnes avec peu de mobilité, comme les personnes atteintes de myopathie. L’équipe a conçu un mode de contrôle « snake » qui couple l’orientation de l’effecteur à la direction du mouvement. Il a été extensivement utilisé par un stagiaire, Nolann, qui a très peu de mobilité des membres supérieurs, mais qui a pu apprendre rapidement à utiliser ainsi le robot. Le robot Kinova peut être utilisé dans la vraie vie, ce qui n’est pas le cas d’autres robots, comme le robot-chien de l’ETH qui est encombrant et doit être extrêmement cher.
Parlons du fauteuil et de ceux qui t’ont conseillé
É. M : C’est un fauteuil roulant manuel, avec une assistance électrique assurée par les roues motorisées « e-motion ». Quand je pousse sur la main courante, un capteur de force mesure la force et la transmet amplifiée aux moteurs. C’est comme un vélo à assistance électrique. Ce n’est pas parfait mais cela fonctionne. Quand je suis devenu tétraplégique, les médecins, les ergothérapeutes et les professionnels du matériel médical m’ont plutôt conseillé un fauteuil complètement électrique. Ils disaient qu’il y avait un risque de problème musculosquelettique au niveau de l’épaule. Mais j’ai préféré cette solution d’assistance électrique pour gagner en autonomie, pousser moi-même mon fauteuil. C’est aussi plus pratique, il suffit de démonter les roues pour le mettre dans une voiture. Je pense que pousser mon fauteuil me permet de muscler et assouplir mes épaules. J’ai par ailleurs développé des compensations motrices pour préserver mes épaules.
Comment faire pour contrôler à la fois le robot et le fauteuil ?
É. M : Il est vrai que c’est un peu compliqué de manœuvrer les deux en même temps, cela demande une dextérité à acquérir. Pour la compétition, on connaissait les distances et on a répété pour préparer la configuration du robot à chaque épreuve.
Et pour se déplacer dans Paris ?
É. M : Quand je travaillais à Jussieu, j’habitais à côté, c’était facile. Maintenant, pour aller travailler je prends un taxi, payé par mon labo, l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (INRIA), et je suis souvent en télétravail. Je me suis mis au rugby-fauteuil et je m’entraîne près du champ de Mars. Je prends le bus 86 et il y a souvent des problèmes : il s’arrête au milieu de la ligne, du côté de Saint-Germain, au lieu de son terminus, et les rampes ne fonctionnent pas toujours. Il n’y a aucun métro accessible sauf la ligne 14. Quand on a entendu les annonces de Valérie Pécresse, on était beaucoup à se dire « enfin » mais compte tenu du retard que cela a déjà pris, des difficultés et du budget à y consacrer, notre espoir est mesuré.
Propos recueillis par Agnès Roby-Brami