Ce qui frappe, quand on a l’opportunité comme je l’ai eue en novembre 2019 de faire un voyage d’étude sur le système de santé mentale et la psychiatrie au Danemark, c’est la conception du soin, le rôle du patient et des aidants dans le parcours de santé, les avancées numériques et la qualité de l’architecture hospitalière des établissements psychiatriques.
D’une certaine façon, ces quatre éléments se retrouvent dans le dernier : l’architecture (intérieure et extérieure) est soignante (elle est conçue pour le bien-être de tous, professionnels et usagers, elle est fonctionnelle et adaptée pour chaque activité sans être typifiée, et concourt à la qualité des soins et la qualité de vie au travail des professionnels), elle est accueillante pour le patient et ses aidants (elle est humaine, conviviale, respectueuse de l’intimité du patient et inclusive, et s’organise autour d’espaces individuels et collectifs de travail et de vie adaptés conçus avec les utilisateurs), elle intègre les apports du numérique (les bâtiments sont intelligents et durables), et en soi elle fait œuvre architecturale (design, modernisme et beauté la caractérisent).
La préoccupation de la beauté est abordée au pays du design aussi bien dans l’architecture d’un immeuble d’habitation que de bureaux ou ici d’hôpital. La beauté d’un lieu participe au bien-être qu’on y peut ressentir. Elle est aussi le signe de l’importance que l’on accorde à la dignité de ceux qui s’y installent, y travaillent ou y séjournent.
Une partie intégrante de la réforme du système de santé
Au Danemark, la modernisation du parc immobilier hospitalier a été partie intégrante de la réforme du système de santé conduite à partir de 2007. À cette époque, le pays a fait le choix du virage ambulatoire, développé les soins à domicile et les structures de soins ambulatoires au niveau des 98 municipalités et réduit significativement le nombre de lits d’hospitalisation et d’établissements hospitaliers. De 128 en 1981, le nombre d’hôpitaux publics est passé à 98 en 2005, 40 en 2007, et 32 en 2020, dont 21 avec centre d’urgence et 5 hôpitaux universitaires (1 pour chacune des 5 régions aux compétences très décentralisées, notamment en matière de santé).
En psychiatrie, la réforme s’est traduite par une forte diminution du nombre de lits : de 67,5 à 39,7 pour 100 000 habitants entre 2004 et 2016, avec un palier à 57 en 2010. Par comparaison, le nombre de lits en psychiatrie pour 100 000 habitants était de 84 en France en 2017.
L’offre de soins en santé mentale repose sur trois piliers : l’hôpital (au niveau régional, pour les urgences et les soins en milieu hospitalier pour les cas les plus lourds et les épisodes les plus aigus), les soins ambulatoires (offre de soin de proximité au niveau infra régional des districts), et l’offre sociale (gérée par les municipalités). Il existe une collaboration fructueuse entre les municipalités et les acteurs du sanitaire : offre de logements inclusifs dans le parc municipal, coopération des personnels de la psychiatrie au sein des structures sociales municipales, visites de médecins généralistes dans les centres d’accueil municipaux pour assurer la prise en charge globale de l’état de santé des patients atteints de troubles psychiatriques suivis en ville, montée en qualité et compétences des personnels municipaux face à la maladie mentale, mise en place de conseillers pour maintenir les patients atteints de troubles psychiatriques dans l’emploi, objectif partagé de réintégrer les patients et de leur rendre de l’autonomie.
La prise en charge des enfants et des adolescents est organisée au niveau régional. On constate à la fois une demande de soin en forte hausse et la nécessité de développer des dispositifs de repérage précoce dès le plus jeune âge en interaction avec le milieu scolaire, en appui avec les enseignants.
Architecture intelligente et thérapeutique
La psychiatrie est depuis 2016 soumises aux mêmes objectifs d’amélioration de la qualité que le somatique, mesurés avec des indicateurs de performance pertinents : garantie pour les patients de bénéficier d’un diagnostic dans les 30 jours à compter de la lettre d’orientation du médecin généraliste référent avec début du traitement (un délai souvent difficile à tenir en psychiatrie dans les faits en raison de la tension sur la démographie des psychiatres), management basé sur les valeurs (value based management) et non plus sur l’activité, cohérence et égalité géographique, réduction des contentions et ré-hospitalisations (en s’appuyant sur l’offre de réhabilitation du niveau municipal), définition de parcours patients types (15 en psychiatrie adultes – par exemple pour la prise en charge de la dépression ; 5 en pédopsychiatrie) sous forme de recommandations visant à davantage de standardisation et bonnes pratiques homogènes.
La réorganisation hospitalière conduite dans le cadre de la réforme du système de santé s’est accompagnée d’une modernisation avec la construction de 10 hôpitaux neufs et la reconstruction de 6 hôpitaux. Les programmes immobiliers sont marqués par la fonctionnalité, la luminosité, le design, le confort des usagers (personnels et patients) et l’intégration des nouvelles technologies (numérisation, locaux hypertechnicisés, éclairage doux et variable) – de sorte qu’on peut parler d’architecture intelligente et thérapeutique (antistress et bénéfique pour les patients, alliant le dedans et le dehors par le jeu de grandes baies, locaux vitrés et circulations ouvertes sur des patios et jardins, à l’encontre de tout sentiment d’enfermement ou claustration), le tout servant des objectifs de qualité, de satisfaction et bien-être, de rationalisation et de maîtrise des coûts.
L’hôpital de Slagelse, un exemple de modernité
L’architecture hospitalière aussi est innovante et place le patient au centre de la conception des bâtiments. Un des exemples en est l’hôpital psychiatrique de Slagelse de la région Zeeland. Construit sur le campus hospitalo-universitaire entre 2013 et 2015, le nouvel hôpital psychiatrique de Slagelse en région Zélande est un magnifique exemple de la modernisation hospitalière conduite au Danemark en cette première décennie du XXIe siècle. Le nouvel établissement a fusionné de nombreux départements dispersés dans la région de Zélande, dont ceux de l’hôpital de Nykøbing (situé à environ 80 km de Slagelse, qui abritait un asile ouvert en 1915, désormais transformé un musée de la psychiatrie1).
Le projet, conçu par le cabinet Vilhelm Lauritzen Arkitekter avec Karlsson Arkitekter, a été élaboré avec une large participation des usagers, professionnels hospitaliers mais aussi des patients et familles. D’un montant de 140 millions d’euros, le cahier des charges du programme privilégiait une déstigmatisation de la maladie mentale et une image ouverte, accueillante de la psychiatrie.
L’ensemble architectural d’une surface totale de 44 000 m2 a été conçu pour l’accueil de 194 patients2 et l’activité de 650 professionnels. Il comprend une zone d’urgence, une zone de consultations et soins externes, des zones d’hospitalisation psychiatrique, une zone d’hébergement hautement sécurisé autonome, ainsi que des zones de recherche et d’enseignement.
Le département de haute sécurité qui accueille les patients jugés dangereux, le plus souvent sous main de justice, se trouve dans un bâtiment distinct, fermé, qui dispose d’une piscine et d’une salle de sport en propre. Ce secteur, quoique d’une conception moins carcérale, correspond en France aux unités pour malades dangereux (UMD).
Le bâtiment principal de l’hôpital s’organise autour d’une structure de deux blocs (dont l’un en R+1 et l’autre en R+4, du type bâtiment ressources abritant des zones de bureaux, salles de réunion, espaces rencontres et zone de travail en open space et en rez-de-chaussée la cuisine et le self ouvert aux personnels et aux patients et visiteurs) reliés par une circulation en R+1.
Impression de quiétude et bien-être
L’architecture de l’établissement est saisissante par sa modernité et l’impression de quiétude et bien-être intérieurs qui s’en dégage de l’intérieur malgré une ligne extérieure somme toute assez banale. On n’a franchement pas l’impression de se trouver dans un lieu de soin, encore moins un lieu dédié à la psychiatrie. Le projet s’inscrit résolument en rupture avec les architectures victoriennes austères des anciens asiles érigés au début du XXe siècle qui, au contraire, soignaient davantage l’aspect extérieur (souvent assez majestueux) que les locaux intérieurs (de confort plutôt sommaire).
Les idées porteuses du projet de Slagelse sont celles d’une architecture de la récupération et de la guérison (on pourrait dire du rétablissement au sens de la thérapie psycho-sociale), d’une transparence des espaces et des locaux assurant une connectivité entre le dedans et le dehors, d’une proximité entre les usagers et les soignants, d’une flexibilité des structures et d’un environnement à la fois bienfaisant et stimulant.
L’architecture intérieure est soignée, harmonieuse, organisée en plusieurs espaces distincts autour de zones centrales et d’une quarantaine de patios et jardins accessibles aux patients, visiteurs et personnels, qui structurent de réels quartiers – comme dans une ville.
Le bâtiment se veut tout à la fois contenant par la chaleur des matériaux bois intérieurs et celle des couleurs des murs dues à la palette de l’artiste Malene Landgreen3. Par ses larges baies ouvertes sur l’environnement extérieur, il est aussi, en communication avec les espaces verts où les plantations externes marquent la temporalité des saisons. Lorsque deux quartiers sont adjacents, un espace vert les sépare. Si le quartier n’a pas de voisinage, il est ouvert sur un jardin clos. Le jardin a une vertu thérapeutique en mettant le patient en interaction avec la nature.
La transparence des espaces et locaux vitrés, sur lesquels figurent les mots des poésies de l’auteure Ursula Andkjaer Olsen4, se veut sécurisante : les patients sont vus des soignants de manière discrète et respectueuse de leur intimité, et voient la disponibilité et la présence rassurantes des personnels. L’apport des couleurs murales et des inscriptions sur les vitrages intérieurs atténue la froideur et le côté minimaliste de certains matériaux des parois en contribuant à une ambiance chaleureuse d’un ensemble très accueillant.
Le recours à la présence d’artistes à travers la palette des couleurs intérieures et le graphisme sur les vitrages intérieurs illustre les liens entre art et thérapie, et propose aussi un concept d’ouverture des lieux de soin à l’art.
L’éclairage est particulièrement soigné : les architectes ont privilégié l’éclairage naturel en utilisant au mieux la lumière du jour, mais aussi en recourant à un système de lumière biologique led intelligente qui suit le cours de la journée et compense l’absence de luminosité extérieure, en relation avec le rythme veille-sommeil des personnes hospitalisées. L’architecte Karlsson a considéré que la lumière avait un rôle thérapeutique sur le processus de récupération, autant qu’elle présente une capacité à créer plusieurs espaces et environnements. De espaces partagés plus publics à ceux qui nécessitent plus d’intimité, chaque zone bénéficie d’une condition d’éclairage spécifique, aidée si nécessaire par les led lumière du jour, qui du fait de variateurs intelligents fournit une lueur plus chaude à partir du coucher du soleil.
L’architecture des circulations se propose comme une rue avec une série de devantures de boutiques. Dans ce cadre, certains espaces invitent à entrer librement, comme les espaces de cuisine, et d’autres non, comme les salles de réunion ou de consultation, tout en évitant toute sensation de limitation des accès sécuritaire, quoique l’établissement reste sous vidéoprotection.
Une architecture inspirante
À l’hôpital, l’architecture et les espaces extérieurs concourent au soin. C’est particulièrement vrai en psychiatrie où les séjours sont plus longs qu’à l’hôpital général (avec pour certains patients des séjours de très longue durée), où les patients sont chroniques et font donc souvent des allers et retours entre l’hôpital et leur lieu de vie (domicile ou Ehpad) et où il est nécessaire à la fois d’humaniser, déstigmatiser et éviter le sentiment d’enfermement, tout en assurant la sécurisation des personnes, des lieux et des biens. Cela est bien compris par les maîtres d’ouvrage (les directions hospitalières), comme par les maîtres d’œuvre (les architectes), et les nouvelles réalisations en sont la preuve.
En revenant du Danemark, où nous étions partis en une petite délégation comprenant directeur, médecins et cadre de santé, nous avons ramené certaines idées que nous avons eu soin de vouloir mettre en pratique.
Parmi celles-ci, nous avons retenu l’importance d’associer les utilisateurs dans les choix architecturaux, bien sûr les professionnels, mais aussi les usagers. C’est ainsi que nous avons intégré un représentant des usagers dans le jury de 4 à 6 personnes organisé pour chacun des concours de maîtrise d’œuvre des projets immobiliers que nous avons lancé depuis 2020. À chaque fois, ce représentant a participé activement aux débats des jurys, à la cotation des projets présentés par les équipes de maîtrise d’œuvre et au vote pour choisir ce qui nous semblait être le meilleur projet.
Nous avons eu aussi peut-être une attention plus grande à l’architecture intérieure, aux volumes et surfaces, à l’éclairage intérieur (naturel et artificiel), aux matériaux et aux couleurs, à l’organisation des espaces et des circulations, au design intérieur. Mais aussi aux extérieurs, à l’intégration dans le paysage et l’environnement, aux espaces verts prévus, aux parkings…
L’intra et l’extra hospitalier
À l’hôpital psychiatrique, la question architecturale ne se résume pas à l’hôpital (ce qu’on appelle l’intra muros) mais embrasse aussi les structures ambulatoires (ce qu’on appelle l’extra muros et qui correspond à une kyrielle de structures de soins : centres médico-psychologiques, centres d’accueil thérapeutique à temps partiel, équipes mobiles, hôpitaux de jour…). Ces structures ambulatoires ont la particularité d’être nombreuses, d’importance et de taille variées, disséminées dans un territoire (souvent un département5), et d’être intégrées à un paysage, une commune, un quartier, un habitat (zone pavillonnaire ou d’immeubles).
Historiquement, ces structures, qui vont essaimer à partir des années 1960 avec le développement de la psychiatrie de secteur, ont été installées dans des pavillons de ville, parfois des maisons de maître. L’objectif était celui d’une déstigmatisation de la maladie mentale et d’une inclusion des patients souffrant de troubles psychiques dans la cité, se traduisant par le fait que les structures du secteur se fondent dans le paysage urbain de leur implantation.
Au fil du temps, ces implantations se sont révélées frappées d’obsolescence, à la fois par manque de fonctionnalité, par inadaptation aux flux croissants de patients à prendre en charge, aux normes (notamment en termes d’accessibilité aux personnes à mobilité réduite) et aux nouveaux standards requis (gouffres énergétiques). C’est ainsi que la modernisation des hôpitaux psychiatriques s’est attachée non seulement à l’intra hospitalier mais aussi à l’extra hospitalier.
Pascal Forcioli
(Directeur d’hôpital honoraire, ancien directeur de l’établissement public de santé mentale de Vendée)
1) Nykobing Sj. Psykiatriske Museum.
2) L’établissement comporte 114 lits de psychiatrie, 50 lits de psychiatrie médico-légale, 30 lits de haute sécurité dans une aile distincte entièrement sécurisée intérieurement et extérieurement qui dispose de sa propre salle de sport et d’une piscine intérieure avec des jets permettant de pratiquer des activités d’hydrothérapie.
3) Artiste danoise, née en 1962, Malene Landgreen vit et travaille à Copenhague et Berlin. Elle est connue pour peindre hors cadre, directement sur les murs et les sols, en transgressant les frontières entre l’art, l’architecture et le design.
4) Née en 1970, musicologue et philosophe danoise, Ursula Andkjaer Olsen est aussi reconnue pour ses poésies et chansons, romans, œuvres scéniques (livrets d’opéra et dramatiques).
5) La loi de 1838 fondatrice de l’organisation psychiatrique en France institue la création d’un asile d’aliénés dans chaque département. La plupart des établissements créés à cette époque vont s’implanter en périphérie des villes préfectures chefs-lieux de département.