Les comptes-rendus que nous écoutons sont des notes prises par les « appelantes-volontaires » du département de Seine-Saint-Denis, chargées de lancer des appels téléphoniques vers les personnes âgées, les handicapés et les personnes relevant des minima sociaux. Après la première interaction téléphonique : « comment ça va ? », les soucis arrivent sur la table.
Les « appelantes volontaires » se préoccupent de la présence ou non des proches, des relations de voisinage, des services sociaux. Puis soudain vient le « relevé du Compte postal » qui est alarmant. Ardoise mentale ou noté sur un papier, le bilan est passé en mémoire pour retenir la date où s’affiche zéro. C’est le compteur du quotidien. Massivement, on s’approche d’une zone rouge : soit par chômage partiel, soit par retard d’un versement RSA ou de retraite ou encore d’une allocation handicap, soit par l’absence de réponse d’une administration sociale envers un droit.
Il faut dire que les droits sociaux ont été en panne plusieurs mois. Alors les factures de loyer, les factures EDF et téléphones sont restées en béance. Le budget alimentaire a touché le fond, c’est la panique car cette fois la colonne du débit s’est allongée plus que d’habitude. Alors on se met à compter, à recompter, plus que les autres, on parle à voix haute comme une calculette, avec des plus et des moins. Au bout de la chaîne : un « reste ».
Ne nous trompons pas. L’exposé des comptes en dit tout autant qu’un récit biographique. Le chemin des soustractions rase des moments de vie importants. Ces deux sphères se tiennent bord à bord, dernier carré « du soi » où les décomptes pèsent lourd et indiquent une position dans l’espace social.
C’est de cette épreuve dont il est question dans ces échanges téléphoniques. Une épreuve où se mêlent le présent, l’évaluation des jours, de la semaine à venir, de celles et ceux sur qui l’on peut compter. Ainsi, les comptes sont présentés, soit par additions des revenus et soustractions des dépenses, soit en intégrant le loyer payé ou non, soit en additionnant ou non des retards de paiement d’allocations non reçues, ou encore en intégrant ou pas les remboursements pour un surendettement.
Jean-François Laé