
En 2025, la journée nationale de psychothérapie institutionnelle se tenait à Besançon sur le thème « Être joyeux, c’est sérieux ». Je viens dire ici que je ne cesse de l’éprouver dans mon travail de psychiatre au secteur 13 de psychiatrie générale du Finistère, au sein de l’hôpital de Landerneau.
La joie que l’on peut ressentir à travailler à Landerneau tient à un certain accomplissement de la politique de secteur, doublée de pratiques de psychothérapie institutionnelle.
Il n’est pas dans l’air du temps de tenir pareils propos tant la psychiatrie est en souffrance, autant du point de vue des patients, qui ont de plus en plus de mal à avoir accès à des soins à la hauteur de leurs besoins, que du point de vue des professionnels. La psychiatrie de secteur et la psychothérapie institutionnelle ne sont pas non plus dans l’air du temps des politiques publiques. Il n’est qu’à observer le détricotage de la première et la récente mise sur la sellette de la clinique de La Borde concernant son autorisation d’activité de psychiatrie pour s’en convaincre.
Le cas du secteur de psychiatrie attaché à l’hôpital de Mâcon nous parle du paysage actuel de la psychiatrie. Récemment, le contrôleur général des lieux de privation de liberté a visité de façon impromptue ce secteur et a rendu un rapport. Il y a trouvé « une pénurie marquée de personnel médical et infirmier amenant une gestion en mode dégradé avec un recours aux équipes de renfort internes au CH et à l’intérim »,selon une dépêche APM du 27 octobre 2025. Le rapport fourni « a mis en évidence un taux d’hospitalisations sous mesures de soins sans consentement à 55%, plus de 50% d’entre elles donnant lieu à des mesures d’isolement et 30% des isolements à de la contention ». Évidemment, sans les effectifs en personnel adéquats, et avec des personnels présents temporairement, donc non impliqués sur le plan institutionnel, cela rend difficile la réflexion sur les pratiques de soins.
À Landerneau, ce taux était de 12,9% en 2024 (moyenne nationale à 23,5%) et sans doute moins encore en 2025, selon les premiers chiffres. Le nombre annuel de contentions se situe entre 10 et 15. Il n’y a pas d’isolement hors contention.
Une seule équipe, pluridisciplinaire
Comment cela se fait-il ? Quelques explications sur le secteur 13 vont contribuer à éclairer le sujet.
Nous avons une seule équipe, pluridisciplinaire : elle est constituée d’infirmiers principalement, d’agents de service hospitalier (ASH), de secrétaires, de cadres, médecins psychiatres et généraliste, psychologues, assistantes sociales, ergothérapeutes, psychomotricien. Nous parlons d’équipe soignante même si le statut administratif de chacun ne le définit pas forcément ainsi. Une équipe unique signifie que chacun, 100% des infirmiers titulaires ont une double affectation, c’est-à-dire travaillent en temps partagé entre intra/extrahospitalier, notamment avec les trois centres médicopsychologiques (Landerneau, Crozon, Pont-de-Buis), les deux hôpitaux de jour, ou entre les structures de soins ambulatoires (CATTP, maison communautaire, équipes de liaison), ou en étant référents d’ateliers thérapeutiques. C’est un casse-tête chinois pour les cadres mais cela permet la continuité des soins entre l’hospitalisation et les différents soins ambulatoires, ainsi que la circulation des patients. Cela les met en mouvement.
En tant que psychiatre, je suis donc les patients dont je suis référente là où ils se trouvent. Il est à noter que ces concepts d’équipe unique et de référence médicale unique du patient aux différents moments de ses soins sont inscrits dans la circulaire du 15 mars 1960 définissant la psychiatrie de secteur.
Pour les infirmiers et ASH référents d’ateliers thérapeutiques, cela signifie être auprès des patients dans différentes configurations, dans différents liens. C’est primordial pour sortir d’une verticalisation des relations, notre outil principal pour soigner.
Il existe trois clubs thérapeutiques adossés à la Treizerien, l’association du secteur, qui permettent aux patients d’être en première ligne dans les décisions concernant les soins, les ateliers, les évènements, etc. Les clubs sont un outil de subjectivation, d’émancipation, de régulation. Les clubs travaillent l’ambiance. L’association Treizerien, qui a passé convention avec l’établissement, reçoit une subvention annuelle pour l’organisation des ateliers thérapeutiques et des évènements. L’affectation de l’argent se travaille au niveau des clubs et au niveau du comité de secteur, assemblée strictement paritaire entre soignants et patients. Ce sont les interactions habitant le collectif soignants/soignés qui soignent.

Un maillage de réunions hebdomadaires
Le fonctionnement du secteur est marqué par la réunion matinale quotidienne d’une heure rassemblant des professionnels de chaque unité, des psychiatres, des psychologues, une assistante sociale, une secrétaire… Elle permet d’échanger des informations sur les patients qui vont mal et éventuellement décider de la suite, intensifier les soins, hospitaliser, etc. Les informations se transmettent formellement dans chaque unité du secteur au fil de la journée. C’est important de savoir collectivement. Cela participe de la contenance psychique.
L’accueil et la permanence des soins se font grâce au CMP principal, à Landerneau, ouvert 7 jours sur 7, de 8h30 à 21h, sauf dimanches et jours fériés (de 13h30 à 21h). L’hôpital est bien sûr accessible 24h/24.
Un dispositif d’urgence particulier permet l’accueil des patients aux urgences dans les meilleures conditions : un infirmier de CMP et un infirmier d’hospitalisation jusqu’à 21h ou deux infirmiers de l’intra quand le CMP est fermé, se déplacent aux urgences pour un entretien avec le/la patient.e. Des infirmiers expérimentés ou tutorés par leurs pairs plus anciens… l’urgence est alors un moment pour se retrouver après s’être déjà vus, côtoyés dans les ateliers thérapeutiques… L’historicité du lien prend toute sa place. Cela fait dégonfler la pression, cela abaisse le niveau d’angoisse de chacun, cela permet de faire accepter les soins car le/la patient.e est plutôt en confiance… Le recours aux soins sans consentement s’en voit diminué.
Les professionnels sortent des unités de soins pour « aller vers » les patients ou travailler le réseau. Cette notion prônée par les politiques publiques actuelles existe bel et bien dans les pratiques de secteur depuis bien longtemps. Les infirmiers, assistantes sociales, médecins, psychologues… vont à domicile, dans les maisons de retraite, les établissements médico-sociaux, les lycées… et rencontrent des interlocuteurs dans la cité.
Pour que tout cela fonctionne, il existe un maillage de réunions hebdomadaires qui permettent de se parler, réfléchir, et s’organiser, entre professionnels et avec les patients.
La question de la formation est également prise au sérieux, par une réunion accueil-formation hebdomadaire, des formations internes, des participations dans les colloques, le tout permettant le compagnonnage.
Je ne suis pas exhaustive de tous nos outils de soins ; ce serait fastidieux. Je veux insister par contre sur la solidité du dispositif, en lien avec une histoire du secteur dense, avec des professionnels rigoureux et engagés, tout autant que sa relative fragilité. Cet équilibre oblige à une attention particulière de chaque professionnel tout autant que du collectif soignant, voire une vigilance active. L’ouvrage doit être sans cesse remis sur le métier.
Tout cela n’est pas une publicité pour un idéal de soins psychiatriques. Ce que j’ai présenté ici est plein d’imperfections, ne fonctionne pas aussi bien que je le dis. C’est très exigeant, on travaille beaucoup, ce n’est pas facile. Des conflits nous traversent. Nous les travaillons. Ça rouspète, on se dispute mais on tient.
Delphine Glachant