Chaque mois des cartes, des graphiques, des tableaux, tous inédits, résultats d’études nouvelles. De quoi nourrir nos réflexions en les appuyant sur des faits établis.
Une image en distance des déserts médicaux
L’offre médicale est habituellement appréciée par un rapport numérique très simple : la densité, exprimée en nombre de médecins pour 1 000 habitants. Cela ne signifie pourtant pas grand-chose : 0,35, 0,57 ou 1,25 médecin pour 1 000 habitants cela reste abstrait, c’est un peu de l’épicerie. Ici pourtant, on ne joue pas à la marchande. On ne débite pas du médecin en tranches. Il ne s’agit pas d’un jeu mais bien d’un problème très concret qui se pose à des millions de nos concitoyens, au cœur de la capitale comme dans les territoires les plus périphériques.
L’inverse, la desserte, c’est déjà plus parlant : 0,35, 0,57 ou 1,25, c’est respectivement 1 médecin pour 2 857, 1 754 ou 741habitants. Mais il s’agit là d’un indicateur pour citadin ou pour médecin cherchant le bon spot pour s’installer. Ces chiffres expriment la concurrence : nous sommes 1 754 à nous partager un médecin. À raison de 6 000 actes par an et par médecin (en moyenne), nous aurons du mal à le consulter plus de 3,4 fois dans l’année, ce qui est inférieur au « besoin » qu’on peut chiffrer en moyenne à 5 consultations par an. À l’inverse, si je suis 1 seul médecin pour 1 754 habitants et que j’effectue en moyenne 5 consultations pour chacun d’entre eux, mon revenu annuel sera de 220 000 euros. Mais pour y arriver, il faudra que je travaille 220 heures par mois, soit plus de 10 heures par jour, tous les jours ouvrés, ou que je réduise fortement le temps de consultation accordé à chacun. Et pour les satisfaire, il ne faudra pas que survienne une épidémie… Dans ce concert, rien de mieux que des pathologies chroniques, des suivis de traitement sans grand risque de décompensation, mais pas de place ou peu de place pour la prévention, l’éducation à la santé, non pas tant par désintérêt de ma part que par manque de temps.
Dans le monde rural, en banlieue, dans les îles, cet indicateur de la desserte n’est pas suffisant. Il parle de la facilité du recours aux soins mais pas de leur accessibilité, pas de leur éloignement ni des difficultés à y accéder. D’où l’idée, ici, d’un indicateur plus concret encore. Un indicateur qui parle aux ruraux, comme le nombre de sources au km2 dans la commune, ou le nombre d’arbres tricentenaires à l’échelle de l’hectare de forêt, ou de salles (de cinéma ou d’opérations). Ces indicateurs disent la rareté. Comme on le fait de celle des hommes en général en rapportant leur nombre au km2 à travers le monde. C’est celle que l’on perçoit ou que l’on retient pour soi-même. Elle résume un paysage vécu.
Nous proposons donc ici une façon toute nouvelle de représenter l’offre médicale, en l’appréciant en nombre de médecins par hectare ou par km2. C’est une mesure à laquelle sont habitués les ruraux qui l’utilisent dans bien des domaines et qu’ils se représentent bien. Ceci permet de donner une image vécue des déserts médicaux.
Cette densité de médecin au km2 n’est pas sans signification pour un habitant du rural ou pour un banlieusard : cela dit la distance à parcourir pour accéder à un médecin. L’éloignement du médecin n’est pas du tout le même pour un habitant du rural profond que pour un habitant du centre de la ville préfecture. L’éloignement du psychiatre n’est pas du tout le même pour un ado de la campagne ou de Saint-Denis que pour un ado des beaux quartiers de la grande ville ou des arrondissements centraux de Paris.
Et puis, cet indicateur est simple à calculer. Et citoyens et élus doivent bien avoir des données pour ne pas se faire enfumer. L’APL, pour « Accessibilité potentielle localisée », cela ne dit rien à personne et rares sont les représentants de l’administration qui pourraient en peu de mots la définir clairement, et encore moins la calculer sans erreur. En la proposant, on a oublié le respect de ce que l’on appelle un critère de Yates : un indicateur doit être simple à calculer et intelligible par tous !
Il n’y a pas non plus beaucoup de données sur l’accès réel aux médecins en l’absence de données publiques. On se souvient, peut-être, de la création en 2012 d’un Observatoire de l’accès aux soins, annoncée à grands renforts de discours et de communiqués. Où est cet observatoire ? Il a vécu à peine un an. Il n’y a rien. Et pourtant, face à la situation actuelle, on ne peut plus se payer de mots creux et de discours vides. Au fond, c’est comme si on voulait que rien ne change en donnant l’illusion qu’on veut que cela change.
Emmanuel Vigneron