« Je rêverais de ne jamais utiliser la contention »

Antoine Pelissolo, capture d’écran sur TMC

Professeur de psychiatrie, chef de service d’un vaste secteur du Val-de-Marne au CHU de Créteil, Antoine Pelissolo est aussi premier adjoint au maire de Créteil. Il parle sans faux fuyant de la contention et de l’isolement en psychiatrie, faisant clairement la différence entre les deux, rappelant aussi qu’il y a des situations où le danger est réel.

Est-on, parfois, vraiment obligé de prendre des mesures de contention ou d’isolement d’un malade ?
Il faut resituer le contexte des moyens insuffisants en personnels dont nous disposons dans beaucoup de services, et de la réalité des prises en charge complexes que devons assumer en tant que service public. Mais il faut distinguer les deux. Pour l’isolement, il y a des cas où c’est incontournable, car ne pas le faire exposerait à des risques de perte de chance pour le patient (en cas de fugue) et de violences pour les autres.
La contention, c’est différent. Je crois vraiment que cela peut être très limité, et évité dans un très grand nombre de cas, mais à condition de disposer de moyens humains et matériels adaptés.

C’est-à-dire ?
Pour prendre les choses concrètement, ce à quoi nous sommes confrontés dans la vraie vie, dans nos services, ce sont des malades en crise, mais pas seulement quelques minutes ou quelques heures, mais souvent pendant plusieurs jours avant que les traitements agissent. Les méthodes psychologiques de « désescalade » ou d’apaisement doivent être appliquées en première intention, à la condition d’avoir du personnel en nombre suffisant et bien formé, mais ne fonctionnent que dans des états transitoires. Une dépression suicidaire grave, un délire paranoïaque ou une excitation maniaque ne disparaissent pas en quelques heures.
Dès lors, que faire ? La contention sert souvent d’abord à éviter des risques suicidaires et auto-agressifs immédiats, mais en dernier recours et exceptionnellement. Pour éviter l’agression sur d’autres personnes, l’isolement joue son rôle quand on ne peut pas rester au côté du patient en permanence, notamment dans des unités de 20 ou 25 lits. Un cran au-dessus, la contention physique peut protéger des malades qui se frappent la tête contre les murs, qui s’automutilent gravement du fait de leur état pathologique. Dans ces situations-là, si l’on veut ne jamais se servir de la contention, il faut disposer de 4 ou 5 personnes à temps plein avec le malade, et je ne connais pas de services qui peuvent le faire sur des durées longues. Très sincèrement, je ne vois pas comment on fait pour éviter cela dans les cas graves. Si c’est juste pour calmer une heure ou deux, d’accord. Mais certains patients ne réagissent pas rapidement aux médicaments, avant plusieurs jours, et en attendant, il faut éviter que des choses graves ne se passent. Dans mon service, toutes les semaines, au moins une fois par semaine, nous devons faire face à des actes plus ou moins graves, des violences verbales ou physiques, c’est cela la réalité : une violence sur les soignants ou sur d’autres patients. Nous accueillons 90 patients, et cette tension extrême n’est bien sûr pas représentative de la psychiatrie dans son ensemble. Mais cela arrive, par exemple des délires paranoïaques, des personnes qui sont convaincues qu’elles sont menacées et cherchent à se défendre, et on ne peut pas jouer avec cela. À partir du moment où l’on nous demande de les prendre en charge, et c’est notre travail, on ne peut pas se détourner. Ce serait quoi l’alternative ? Faire comme certains services qui assument que les portes restent ouvertes, pour privilégier le libre choix des patients ? Cela est bien sûr plus satisfaisant sur le principe et plus agréable pour tout le monde, et faisable pour nombre de situations, mais pour certains patients, les risques sont évidents. Il nous manque surtout la possibilité de graduer les restrictions de liberté, par manque de personnel et aussi car nos services n’ont pas une architecture adaptée, avec des locaux trop petits regroupant trop de patients avec des profils très hétérogènes.

Mais pour vous, attacher ne relève clairement pas du soin ?
Non, ce n’est pas un soin, c’est un moyen pour permettre de soigner. C’est parfois le seul moyen dont on dispose pour mettre le patient à l’abri et commencer ensuite un traitement. C’est la première étape. Mais ce n’est pas thérapeutique en soi. Certains de mes confrères disent que la contention peut calmer en elle-même, j’en doute fortement et je le redis, il y a une vraie distinction entre isolement et contention, qu’il faut essayer de supprimer et en tout cas appliquer le moins longtemps possible.

Le législateur a-t-il eu raison d’encadrer cette pratique car d’une certaine façon, en l’encadrant, il la légitimise ?
C’était nécessaire, il y avait des dérives, des mauvaises habitudes. C’était parfois devenu une pratique presque banale, culturelle du lieu, avec de très grandes différences d’un service à l’autre. Maintenant, c’est encadré, et c’est peut-être un peu excessif au niveau administratif car il y a une foule de documents à remplir, on a le juge en permanence avec nous. On perd du temps, peut-être, mais c’est essentiel pour assurer que tout est fait en règle. Et puis cet encadrement nous rend vigilant, et permet d’objectiver les difficultés. Cela souligne, en creux, qu’il faut plus de personnels, plus de formations.

Le regard a-t-il désormais changé sur ces pratiques ?
Oui, beaucoup de progrès ont été faits pour mieux respecter les droits individuels ainsi que la dignité des patients. Là où les problèmes subsistent, c’est surtout aux urgences. Il arrive que l’on contienne physiquement des patients pour ne pas qu’ils s’en aillent car ils ont absolument besoin de soins sans en avoir conscience. Ils ne sont pas forcément très agités, ils sont là, ils attendent, deux, trois jours, voire une semaine faute de lits. C’est vraiment scandaleux.

Interdire la contention n’obligerait-il pas les équipes à innover, à chercher d’autre réponses ?
Trouver autre chose, mais quoi ? Si on me dit ce qu’il faut faire, alors oui, mais là je ne sais pas faire, je rêverais de ne jamais utiliser la contention. Car il suffit de voir une personne attachée une seule fois pour être choqué. Mais en réalité, les personnes qui doivent les mettre en œuvre ne sont pas celles qui peuvent organiser le système autrement, et il ne faut pas les culpabiliser. C’est en fait un problème politique. Quels moyens pour les hôpitaux ? Comment encourager d’autres pratiques et créer les conditions ? Et puis, ne pas oublier que ces maladies-là existent et bien souvent, on ne veut pas le voir. Même si les patients sont eux-mêmes plus victimes de violences que l’inverse, certains troubles psychiatriques poussent à des violences qui se terminent (exceptionnellement) très mal. Une partie des malades que nous recevons sont concernés, et il faut regarder cette réalité en face et sortir des grands principes théoriques.

Recueilli par Éric Favereau