Il y a comme des oasis. Dans le monde de la plainte dans lequel s’enferme parfois l’univers de la santé, voilà deux lieux qui vivent et s’inventent tous les jours. Et font tout simplement du bon travail.
La Moquette
Ce drôle d’endroit d’accueil est ouvert, tous les soirs de la semaine, à quelques mètres du jardin du Luxembourg. Il est ouvert comme une fenêtre, comme un havre, on y vient, on y passe, on y reste car presque tous les soirs, il y a une animation autour d’un conférencier, d’un atelier d’écriture, ou d’un concert. Une fois par mois, aussi, on va fêter l’anniversaire d’un des passants. « Pour ces personnes que personne ne regarde dans la rue, un soir voilà, ils sont au centre de tous les regards, avec un gâteau pour eux », raconte Véronique Nahoum-Grappe, qui préside cette association.
Ce lieu a été fondé en 1992, par un jésuite Pedro Meca, ami de l’abbé Pierre : « La nuit est faite, écrivait-il, pour se reposer. Ne restent dehors que ceux qui n’ont pas où se reposer. » À La Moquette, dans ce sous-sol où il fait bon, on passe juste saluer, ou l’on s’installe, ou l’on reste la soirée à refaire le monde, on fait connaissance, on joue ou on se repose un moment… « La nuit est un autre temps, ajoutait encore Pedro Meca. Le temps de l’échange, de la rencontre, du partage des idées, de la détente… Un temps où les préjugés et les stéréotypes tombent, un temps où l’on arrête de se prouver, de se justifier, de se vouloir performants. »
Alors, depuis des années, des centaines de compagnons de la nuit, avec ou sans domicile, avec ou sans ressources, avec ou sans trouble existentiel – mais restant souvent à l’écart des institutions – viennent. Ervé y vient sans doute, on ne lui demande rien. Ici, il n’y a pas de bureau, pas d’ordinateur de service, ni d’étagère à dossiers comme dans les lieux d’assistance, mais des canapés, des fauteuils confortables, des lumières tamisées, des livres sur les rayonnages, une bibliothèque, de quoi écouter de la musique et recharger son téléphone, une petite scène aussi pour y accueillir des spectacles, un cirque ou un conférencier. Et si la fanfare entre avec fracas, on poussera les meubles pour y danser.
Le centre René Capitant
Autre lieu, le centre René Capitant. Nous sommes près du Collège de France à Paris. Comme pour La Moquette, voilà un espace que l’on devine peu de l’extérieur. L’entrée est étroite, comme un long couloir. C’est là que viennent quotidiennement des patients, soit en hôpital de jour, soit en CMP (centre médico-psychologique), soit pour y dormir la nuit dans un foyer où il y a une vingtaine de lits.
« J’y suis bien », nous raconte ce jeune homme. « J’arrive avec mon monde, on ne m’ennuie pas. Et si c’est trop lourd cela m’aide. » C’est l’heure du déjeuner, tout le monde est là. Et l’on n’entend guère de plaintes. Alors que dans le monde de la psychiatrie publique, tous se lamentent, la plupart du temps à très juste titre, sur le manque de personnes, le manque de moyens, mais aussi la demande d’aide ou de soutiens qui explose. Là, ce n’est pas le cas. Il ne manque personne, et tout le monde semble content de travailler, là. Le psychiatre, Jérôme Pellerin, qui a en charge le lieu, le confirme. « On a le sentiment de faire du bon travail », note-t-il.
La Haute autorité de santé (HAS), dans son rapport de certification, le reconnaît sans mal. « Le centre René Capitant regroupe trois structures accueillant une patientèle, mixte depuis 2018 en ce qui concerne le foyer, non sectorisée de jeunes adultes en CMP, hôpital de jour, foyer de postcure en hospitalisation partielle. Les prises en charge ont majoritairement de type « thérapie institutionnelle » et privilégient l’autonomisation et l’empowerment du patient. Une large place est faite à la codécision, au consentement du patient et à l’association de la famille et de l’entourage dans le projet de soins. La prise en charge de la douleur physique ou morale est effective et fait l’objet d’attention et d’évaluation de la part des équipes soignantes. »
Et cela marche, à La Moquette comme au centre René Capitant. Ce sont des lieux personnels, presque intimes, souvent avec une histoire et une personnalité forte à l’origine, comme à La Moquette. Ce sont aussi de petites structures, associatives, de proximité, les deux ayant peu de charges de loyer, ce qui facilite l’équilibre du budget. Elles sont inscrites dans leur quartier, nullement en conflit. Et toutes les deux renvoient une image de grande hospitalité. En même temps, les gens qui y travaillent ne sont pas de doux amateurs, gentils et accueillants. Ils sont « pro ». Et cela fait un étonnant cocktail et une belle réussite.
Éric Favereau et Jean-François Laé
(membres du conseil d’administration de La Moquette)