Site de l’usine Aguettant, Ardèche, juin 2023. Emmanuel Macron annonce faire de la souveraineté sanitaire de la France une priorité nationale, notamment pour le secteur pharmaceutique. Ce n’était pas un hasard : les pénuries à répétition touchant des médicaments essentiels devenaient une « affaire » qui frappait l’opinion et s’étalait de manière persistante dans les titres des médias. Pas bon ça. D’où ces annonces quasi-guerrières de « mesures concrètes » visant à relocaliser la production sur notre territoire d’un nombre croissant de médicaments, notamment, au moyen d’aides aux entreprises qui feraient ce choix.
Même si cela avait mal commencé avec le fiasco de la liste des « médicaments essentiels dont la production devrait être relocalisée en priorité » qui, après avoir fait scandale puis rire, semble avoir disparu des radars, un espoir était né : enfin une prise de conscience du risque majeur qu’encourt un pays quand son approvisionnement en produits de santé de première nécessité dépend à plus des trois quarts de productions extra-européennes.
Quatorze mois plus tard, faute de volonté et d’action, la reconquête s’est clairement muée en recul : les pénuries sont toujours aussi fréquentes et prégnantes, et les restes de la souveraineté de notre production pharmaceutique passent peu à peu aux mains de groupes extra-européens.
Première annonce : celle du groupe Servier qui s’apprête à céder à un consortium indien sa filiale Biogaran, géant français du générique (850 médicaments au catalogue et 240 millions de boîtes vendues par an). Bercy et Matignon avaient, en leur temps, indiqué vouloir tout faire pour imposer une solution franco-française mais les Jeux Olympiques ont dû faire diversion.
C’est ensuite Pierre Fabre qui se prépare à céder au groupe indien Jubulant Biosys son centre de recherche et développement de Saint-Julien-en-Genevois en Haute-Savoie.
Le numéro un français, Sanofi, pourtant fort choyé par le pouvoir et bénéficiaire d’aides publiques substantielles, ne fait ni dans la reconnaissance ni dans la demi-mesure. Le géant annonce céder (probablement à un groupe étranger) sa filiale Opella spécialisée dans les médicaments et produits sans ordonnance (dont le Doliprane®, excusez du peu) qui représente, avec 5,3 milliards d’euros en 2023, 12,5% de son chiffre d’affaires. Seconde bonne nouvelle et renvoi d’ascenseur : ce n’est pas en France mais en Allemagne (sur le site Biocampus de Francfort) que le groupe va développer son usine de production de sa nouvelle insuline. Raison invoquée : les aides accordées par le Land allemand ont été plus substantielles.
Le point commun à ces décisions « stratégiques » a été parfaitement résumé par une déclaration de Paul Hudson, président de Sanofi : le générique, ce n’est plus rentable, il faut se défaire de ces productions obsolètes pour se recentrer sur les médicaments innovants dont la rentabilité est très forte et pour lesquels l’industriel peut imposer ses prix (alors que les marges sur les médicaments « anciens » sont constamment et stupidement rognées).
Le souci, pour les malades et la santé publique, est que ces productions « obsolètes » concernent en bonne part des médicaments indispensables au traitement et au contrôle de plus de 80% des maladies et symptômes dont souffre notre population, y compris les plus graves. Pour peu que leur commercialisation date de plus de vingt ans, ces médicaments sont effectivement génériqués mais n’en restent pas moins des références indispensables ; tout à fait à l’opposé du qualificatif d’obsolète. Il est évident que leur contribution à la santé publique est, pour l’instant, incomparablement plus forte (en termes de mortalité et morbidité évitées) que celle de l’ensemble des médicaments innovants, même s’ils sont mille fois plus coûteux. Ne plus contrôler au plus près la production et la disponibilité des médicaments essentiels est un renoncement des plus dangereux, un piétinement de la démocratie sanitaire qui veut que la logique industrielle ne s’impose jamais face aux enjeux de santé publique.
Bernard Bégaud