Ce sont des mots, des qualificatifs qui traînent. Des mots vite écrits, des expressions anodines qui montrent combien les vieux comme les fous ne sont pas tout à fait égaux aux autres….
Prenons ainsi le mot « fugue » ou l’expression « il s’est échappé ». Apparemment il n’y a rien à redire, voilà des mots qui ont un coté adolescent. Cela évoque une fugue amoureuse, ou bien une scène où l’’on s’échappe d’un dortoir… En tout cas cela renvoie à une personne mineure qui n’est pas en état de décider pour elle-même. Prenons en écho, maintenant, le cas tout simple d’un résident dans un EHPAD. Il est majeur, il est chez lui, comme à son domicile. Il est censé être là de son plein gré, en plein consentement. Légalement, les EHPAD n’ont jamais le droit, faut-il le répéter, de recevoir quelqu’un qui serait là contre son souhait.
Notre résident, ce jour-là, a des drôles d’idées. Il est, redisons-le, majeur. Allez savoir ce qui lui passe par la tête, il sort de sa chambre, sort de son étage, sort du bâtiment. Il va faire un tour. Que se passe-t-il, dès lors ? Branle-bas de combat. Notre résident a … « fugué ». Oui, c’est bien cela, c’est le mot utilisé. Ou il s’est « échappé ». Dans les médias c’est le mot systématiquement utilisé. Ainsi sur le site Actu-Gironde, ce lundi 24 juin 2024, au nord du bassin d’Arcachon : « Ce furent les grands moyens. Avec le survol d’un hélicoptère de la gendarmerie qui n’est pas passé inaperçu et a suscité des interrogations. Renseignements pris auprès de la gendarmerie, on a appris qu’un homme de 71 ans s’était « échappé » d’une maison de retraite médicalisée à Arés : l’Ehpad de la MGEN. Les gendarmes ont été alertés en fin de matinée de cette disparition inquiétante ».
Tout de suite et tout le temps, c’est ce verbe là qui est utilisé. Echappé, comme on s’échappe d’une prison, d’un lieu clos, d’un enfermement. Dans le cas présent, pour élargir les recherches, la ville d’Arès a même publié un avis de recherche sur les réseaux sociaux évoquant un homme d’1m80, « courbé en deux ». Quelques heures plus tard, notre résident a été retrouvé sain et sauf. Il s’était promené et non « échappé ». Il n’avait pas fait de fugue. Mais bon, c’est ainsi, quand un vieux ne rentre pas à l’heure, c’est qu’une fugue, c’est qu’il s’est échappé. L’emploi de ces mots repose clairement sur un sous-entendu : un résident dans un EHPAD n’est pas considéré comme un citoyen à part entière. Il ne se promène pas, il s’échappe. Autre exemple avec cet article : « Tout le personnel de l’Ehpad des Cébrades, à Sanilhac, peut souffler. Une résidente de la maison de retraite qui avait fugué jeudi après-midi a été retrouvée en moins de deux heures, grâce à un dispositif de géolocalisation placé dans son sac par la famille de la retraitée. La résidente de 87 ans s’était faufilée hors de la maison de retraite des Cébrades à Sanilhac ». Fuguée, faufilée… Diantre, notre vieille est vraiment à surveiller à double tour…
Changeons maintenant de décor ou plutôt de vocabulaire. Et prenons maintenant le mot d’internement. Aujourd’hui, en 2024, ce mot est toujours très largement utilisé, dans les médias et ailleurs, pour rendre compte de l’hospitalisation d’un patient souffrant de troubles mentaux. Or ce mot, dans son acception d’origine, n’a plus de base formelle, n’existant plus depuis la loi du 27 juin 1990 qui a consacré l’abandon de ce terme et substitué au placement volontaire et au placement d’office les procédures d’hospitalisation sur demande d’un tiers et d’hospitalisation d’office. Aujourd’hui, on n’interne plus, on hospitalise avec ou sans consentement. L’internement – cette mesure d’hospitalisation forcée (loi du 30 juin 1838) en hôpital psychiatrique à l’initiative d’un proche (placement volontaire) ou du préfet – n’est donc plus ni d’actualité, ni de raison.
Or, que voit-on ? Ce mot est toujours là, solide comme un roc. Il revient dans les textes comme un reflexe. Ainsi, à titre d’exemple, dans un article paru dans la presse quotidienne régionale, il est dit : « Vendée : une patiente « internée » contre son gré à l’hôpital psychiatrique appelle la justice à l’aide ». Le préfet de Vendée avait en fait fait interner l’intéressée le 14 décembre 2023 et avait décidé de son « hospitalisation complète (…) aussi longtemps qu’une autre forme de prise en charge ne lui est pas substituée » par une autre décision « prise sur proposition médicale ».
Bref, les mots ont la dent dure : un malade mental n’est pas hospitalisé mais interné. Et ce n’est pas anodin. Car le mot internement renvoie à plusieurs significations. Et surtout, entre autres, il renvoie à la détention dans un camp de concentration. En France, comme à l’étranger, il y a eu des mesures lourdes prises pendant différentes périodes de l’histoire. Comme l’internement des soldats juifs d’Algérie, ou l’internement aux USA peu après Pearl Harbor des nippo-américains. Mais aussi les camps d’internement français pendant la guerre d’Indochine, puis d’Algérie. Mais aussi des mesures de détention sans procès dans des camps utilisée par la Grande Bretagne et l’Irlande à plusieurs moments du XXe siècle. Bref, on interne des dangers potentiels, des populations à qui on ne fait pas confiance, puis on les relègue dans des camps. Alors, quand on écrit, l’air de rien, comme si les mots n’avaient pas d’histoire, que telle personne a été internée, on peut redouter qu’au delà de l’erreur lexicale, cela n’a pas un effet thérapeutique certain.
Éric Favereau