Et si on ripostait…

Nous avons voulu voir l’exposition « Ripostes », dont notre ami Philippe Artières est un des artisans, en nous demandant quels enseignements en tirer pour aujourd’hui. Quels leviers recueillir dans les luttes passées pour tenter d’effriter les blocages de 2024 ? Mais le passé s’échange-t-il ?

Dessin David Mangin

D’abord un constat. Ou une image. « Ripostes » ressemble aux deux commissaires (Philippe Artières et Franck Veyron), foisonnants, passionnants, dérangeants. En prime, l’expo se tient jusqu’au 16 mars dans ce magnifique bâtiment de La Contemporaine, situé sur le campus de l’université de Nanterre dont la fonction, est de collecter les archives privées, aussi bien celles d’associations, que de collectifs.
« Ripostes » – comme son sous-titre l’indique, Archives de luttes et d’actions 1970-1974 – repose sur la sélection de 500 pièces issues de ses collections (affiches, journaux, revues, brochures, tracts, photographies, etc.), déposées par des groupes d’extrême gauche ou par des ex-militants et des acteurs de luttes eux-mêmes.

Second constat, ces luttes au début des années 1970 n’avaient rien d’apaisantes. La culture hippie et la « libération sexuelle » ont eu tendance à faire oublier combien les années 1970-1974 ont été remplies de tensions, de conflits ou d’affrontements, mais aussi de volonté collective. Alors que l’on fêtait l’individu, se sont multipliés des combats en commun. Mais avec une foule d’interrogations sur les modes d’action : quels moyens mobiliser dans ces luttes locales, nationales ou internationales ? L’occupation d’une usine, la séquestration d’un patron, la préparation au « coup de poing » sont-elles légitimes ? Le recours à des formes d’action illégale est-il inévitable pour espérer « changer la vie » ? Ou bien faut-il, en dépit de tout, privilégier la non-violence, voire la désobéissance civile ? Questions éternelles. En tout cas, ce furent des luttes souvent brutales mais aussi des moments collectifs remplis d’espoirs ; l’avenir paraissait alors chargé de possibles.
Dès lors, « comment décrire cette époque loin de cinquante ans aux jeunes d’aujourd’hui ? », s’interrogent nos deux commissaires. « Comment les immerger dans un début de décennie largement habitée par la figure de la violence – violence d’État, en particulier à l’échelle internationale, ou violence considérée comme une option par les mouvements contestataires », selon les mots de Philippe Artières.

Troisième constat, c’est la variété des luttes politiques et sociales qui est là, mise en scène. Et « Ripostes » nous fait ainsi voyager sur l’effervescence de ces engagements qui touchent à tout, aux luttes sociales, mais aussi internationales. Peu de luttes concernent la vie au quotidien. Les combats sont souvent lointains. Avec la notable exception des combats pour la femme, en particulier pour l’IVG. Se battre, dénoncer. C’est-à-dire révéler ainsi la réalité du monde carcéral à Nancy, les crimes racistes dans le sud de la France, mais aussi les pratiques de la justice militaire comme les agissements de la police… Que faire ? Les mots sont souvent violents, mais les formes de l’action hésitent, allant de la simple pétition à la désobéissance civile et aux actions non violentes, même si la tentation de l’action armée n’est jamais loin. Ainsi, défilent des traces de ce passé, objets, tracts, journaux, articles, photos, montrant la variété des luttes politiques et sociales.

Doit-on, au final, en être nostalgique ? On ne peut que l’être, tant les les luttes sont chargées de vie, de colères, de désirs. Dans le catalogue, Tiphaine Samoyault, enseignante-chercheuse, le reconnaît. « On regarde beaucoup de ces documents avec envie et on trouve ce moment de riposte désirable. Pourtant, celles et ceux qu’on voit sur ces images et qu’on entend dans leurs textes ne s’inquiètent pas du tout de l’avenir comme maintenant. » Puis : « La génération, qui arrive aujourd’hui, en 2023, sur le marché du travail et qui est engagée dans d’autres formes de lutte, reproche à cette génération de militants, comme à celle qui est née dans l’euphorie de ce moment, son insouciance à l‘égard d‘une croissance qui précipitait le réchauffement climatique et l’asséchement des sols. »

C’est ainsi, la transmission ne se décrète pas. « L’oubli nous submerge », disait récemment l’historienne magnifique Michelle Perrot. Cette exposition a l’énorme qualité de le combattre.

VIF