« Des mesures d’isolement sont prises en dehors de tout cadre légal »

Une expo à Beaubourg

Tous les ans, la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) publie un rapport, où elle revient en détail sur les inspections et visites que ses membres ont pu faire dans l’année écoulée, dans tous les lieux où des personnes sont en partie privées de liberté. À ce titre, la Contrôleuse se rend de plus en plus systématiquement dans des hôpitaux psychiatriques où des patients peuvent être hospitalisés sans leur consentement, voire isolés, voire encore attachés.
Extraits du chapitre intitulé « Psychiatrie générale ».

« Toutes les visites des établissements de santé ont peu ou prou mis en lumière la situation déplorable de la démographie médicale et parfois soignante. Partout les effectifs sont tendus et souvent insuffisants. Il en découle des emplois vacants, le recours à des médecins qui ne disposent pas de la plénitude d’exercice, des lacunes dans l’organisation des soins, une prévention des crises insuffisante qui conduit à des hospitalisations que l’on aurait pu éviter, des soins somatiques irréguliers, un recours excessif à la contrainte et un accompagnement sommaire des patients. Au regard des droits de ces derniers, des atteintes sont portées à l’égalité d’accès aux soins, à la liberté d’aller et venir, et parfois même à l’obligation de protection. Les développements qui suivent s’inscrivent dans ce contexte de pénurie médicale et soignante. Les conditions matérielles de prise en charge observées sont en général correctes, sous réserve de deux difficultés.
L’une, de plus en plus fréquente, résulte de la saturation des espaces, qui conduit à des pratiques irrespectueuses des droits des patients : hébergement en chambre d’isolement, doublement des chambres, hébergement de mineurs ou de personnes âgées en services pour adultes, etc. […]

La liberté d’aller et venir, et plus généralement les restrictions imposées dans la vie courante, obéit à des logiques ou à des règles locales très variables. Un lien encore trop systématique est fait entre le statut d’admission des patients et leur hébergement en unité fermée : on ne saura trop répéter que les soins sans consentement n’imposent en aucune manière d’héberger qui que ce soit dans des locaux fermés. L’inverse n’est cependant pas vrai : les patients en soins libres doivent être exclusivement affectés dans des services ouverts. Pourtant des exceptions à ce principe simple existent et ce n’est pas acceptable. Par exemple, l’un des établissements visités ne comportait pratiquement que des unités fermées et celles qui étaient dites « ouvertes » l’étaient bien peu. Les contraintes indirectes de circulation telles que le port obligatoire du pyjama tendent à se raréfier, sans disparaître tout à fait. Les restrictions liées à la crise sanitaire ont désormais presque partout disparu. Les contraintes imposées dans la vie quotidienne sont variables dans leur nature comme dans leur intensité.

Si l’accès des patients à l’information générale est partout possible, les diligences en la matière sont parfois insuffisantes. Il en est de même pour l’accès au téléphone et aux services numériques, qui se développe peu à peu sans être encore suffisant : le CGLPL rappelle que des connections Wifi librement accessibles aux patients doivent systématiquement être proposées. Le retrait systématique des cordons d’alimentation des téléphones portables est parfois source de difficulté. Un établissement y pallie en fournissant des cordons très courts estimés moins dangereux. Il est rare que des restrictions aux visites existent mais le CGLPL a contrôlé un établissement qui interdit l’accès des visiteurs dans la chambre du patient, un autre qui n’autorise pas les visites des mineurs et un troisième qui ne dispose d’aucun salon d’accueil des visiteurs : autant d’interdictions ou carences qu’il convient de résorber.

La question de la sexualité des patients est, au mieux, traitée par un silence institutionnel qui laisse les soignants dans une relative incertitude face à ce qu’il convient de faire. Quelquefois, la réticence est plus grande encore et ces relations sont interdites de fait ou regardées exclusivement comme une difficulté. L’information du patient sur ses droits n’a jamais été évaluée par le CGLPL comme tout à fait suffisante. Elle pâtit de plusieurs faiblesses souvent cumulées. Dispensée par des soignants insuffisamment formés, elle est parfois regardée comme une formalité dont on se débarrasse au plus vite sans se préoccuper de savoir vraiment si le patient a compris ce qu’on lui dit. Lorsque le patient arrive pendant une crise, ce qui est fréquent, la reprise de l’information après le retour au calme n’est pas systématique. Les documents remis au patient ne sont pas toujours explicites ni complets, qu’il s’agisse de documents permanents et généraux tels que les livrets d’accueils ou des règles de vie lacunaires, obsolètes ou inadaptés à la psychiatrie, ce qui est fréquent dans les hôpitaux généraux, ou qu’il s’agisse des documents relatifs à l’hospitalisation du patient, non motivés ou motivés sommairement avec des formules vagues et passe-partout, incomplètement renseignés (notamment quant au nom du tiers demandeur), conservés au dossier ou tardivement remis. Enfin, des lacunes sont encore observées dans l’enregistrement des notifications et surtout dans celui des observations des patients. […]

Le recours à l’isolement et à la contention demeure l’objet de pratiques encore très diverses. Certains des établissements visités se sont résolument engagés dans la voie de la réduction en développant l’analyse des statistiques au travers des rapports institués par la loi et même parfois au-delà, en effectuant des analyses des pratiques unité par unité, en réduisant le nombre des chambres d’isolement, en appliquant avec rigueur la notion de « dernier recours » et en développant la prévention de la crise ou de la violence. Quand les politiques de réduction portent leurs fruits elles reposent en principe sur l’engagement conjoint de la direction, de la commission médicale d’établissement et du comité d’éthique. Ces leviers, toujours nécessaires, ne sont cependant pas toujours suffisants : ils doivent être relayés par une offre de formation pertinente, indispensable pour faire connaître objectifs et méthodes aux soignants. L’usage consistant à associer isolement et contention est renforcée par le recours à l’acronyme ISOC. Ce raccourci ne doit pas ne doit cependant pas interdire une analyse séparée de ces deux mesures qui évoluent différemment : la réduction du nombre des mesures de contention semble plus rapide et plus fréquente que celle de l’isolement, au point qu’elles disparaissent quelquefois. Le moment est peut-être venu de dissocier les deux mesures et de mettre fin sans attendre à l’usage de la contention dans le cadre des soins sans consentement.

Les politiques de réduction de l’isolement et de la contention se développent, certes, mais ne concernent pas encore la majorité des établissements visités. Les uns, notamment les deux établissements concernés par des recommandations en urgence, semblent ne pas s’en préoccuper, d’autres ne les mettent en œuvre qu’en apparence et d’autres enfin les appliquent avec détermination mais sans effet.
À l’origine de ces retards, il y a plusieurs causes : le comité d’éthique qui n’existe pas ou qui « regarde ailleurs » (notamment dans les hôpitaux généraux où la place de la psychiatrie est faible) ; le recours à l’isolement est concentré dans une unité dont il devient peu ou prou la «
 vocation » ; les directives anticipées en psychiatrie ne sont pas utilisées ; les moyens de faire évoluer la « culture soignante » ne sont pas mobilisés et l’on tolère un champ lexical pervers avec des expressions telles que « prescrire un isolement », « isolement thérapeutique » ou « chambre de soins intensifs » ; la présence médicale est insuffisante ; le rapport annuel est négligé ou rédigé en tant qu’alibi sans donner lieu à une analyse ; les chambres d’isolement, éventuellement trop nombreuses, doivent être utilisées à plein pour atteindre le nombre des lits nécessaire. Des « isolements occultes », notamment en chambre ordinaire ou non enregistrés car pratiqués sur des patients en soins libres, aggravent la situation.
Les causes sont multiples, la conséquence est unique : des mesures d’isolement sont prises en dehors de tout cadre légal en trop grand nombre ou durent trop longtemps. Le flou des motivations sur lesquelles elles reposent suffit parfois à les justifier. Les modalités de mise en œuvre des mesures d’isolement et de contention sont également à l’origine d’atteintes aux droits. Ces mesures peuvent être décidées sans garanties suffisantes, par exemple en l’absence d’intervention effective d’un médecin ou par un médecin non qualifié (interne ou médecin associé), sans examen somatique, sans mesures préalables destinées à les éviter ou par des décisions antidatées. Elles peuvent également être mises en œuvre de manière inappropriée, dans des chambres dépourvues des équipements nécessaires (dispositif d’alarme, accès libre à des sanitaires, horloge, miroir), insuffisamment ou mal surveillées, sans information immédiate des équipes de sécurité incendie, ou même quelquefois en présence d’équipes de sécurité alors que ces dernières n’ont en aucune circonstance vocation à intervenir dans la prise en charge des patients…
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