Des devoirs pour les malades ?

Dessin de Pierre Sadoul

Récemment, à Lyon, à l’occasion d’un colloque franco-québécois, une question mise en travail m’a valu de me montrer « vif ». Tournant autour d’une affirmation sur le fait que la reconnaissance des droits n’allait pas sans exiger des devoirs, le sujet en valait la peine, m’a-t-il semblé.

Mes sangs, de militant et de juriste, se sont mis à bouillonner quasiment jusqu’au point de coagulation. Puis ce fut mon tour de parole. Rappelons d’abord ce que sont ces droits des malades reconnus en 2002 par la loi : droit d’accès au dossier médical, droit à l’information, droit au consentement, droit à la prise en charge de la douleur, droit à l’indemnisation amiable d’un accident médical, pour ce qui concerne les droits individuels. Droit à la représentation des usagers par des personnes issues d’associations agréées à cette fin, pour ce qui concerne les droits collectifs.

Jamais ces droits, pas plus que ceux qui ont été reconnus avec constance par la République dans des lois postérieures, quelle que soit la couleur politique de nos gouvernements successifs, n’ont été proclamés en échange de devoirs exigés en regard de ces droits. De sorte que pour ceux qui n’auraient pas accomplis ces devoirs, il n’y aurait pas ou plus de droits. Pourquoi ces droits ne sont-ils pas liés à des devoirs ? Tout simplement parce qu’ils se rattachent à des droits fondamentaux de la personne humaine, comme le droit à la dignité, qui ne se conditionnent pas. On peut donc être un mauvais citoyen et recevoir des soins sans conditions, dans l’entier respect des droits reconnus aux malades.

Les droits des malades ne sont gagés par rien

Ouf ! Car, à suivre les débats, certains estimaient que nous avions tous des devoirs en échange de ces droits.  Une obligation, en quelque sorte, de nous montrer solidaires avec les « vieux, inégaux, fragiles ». Si l’on veut aller jusque-là, le bénévole qui donne de son temps pour accompagner un voisin isolé dans l’épreuve de la maladie verrait ses droits reconnus, contrairement à celui qui, pour des raisons légitimes ou son égoïsme patent, serait quant à lui dépouillé de ses droits. Quelle horreur !

Tout tient dans le « et » de l’expression « droits et devoirs ». Il faut donc le dire, le redire et le redire encore, les droits des malades ne sont gagés par rien.
Il ne faut pas confondre les droits défensifs, pour reprendre une expression du Conseil constitutionnel, à savoir les droits des malades au sens où l’entendait le législateur de 2002, et les droits-créances, comme la mise en place de services et biens de santé pour lesquels des conditions sont effectivement parfois posées par les lois et règlements : ouverture des droits à l’Assurance maladie, obligation d’enregistrement auprès du médecin traitant, liste limitative de soins admis au remboursement et régulation financière (forfait hospitalier, franchises médicales).
On voit déjà que cet exercice de conditionnalité des droits-créances est devenu difficile : comment exiger des patients de « déclarer » un médecin traitant quand il y en a de moins en moins et que certains médecins refusent de prendre de nouveaux patients ? Passons cependant, et considérons qu’il est acquis que des droits défensifs existent. Ce sont notamment ceux consacrés en 2002.

Autre chose est de savoir si, par ailleurs, sans constituer un gage sur leurs droits intrinsèques, les patients, et plus largement les usagers du système de santé, ont une responsabilité à l’égard du système de santé lui-même.
À cette question, le législateur a déjà répondu dans ce qui est devenu l’article L. 1111-1 du code de la santé publique : « Les droits reconnus aux usagers s’accompagnent des responsabilités de nature à garantir la pérennité du système de santé et des principes sur lesquels il repose. » Il s’agit ici de tout autre chose que de devoirs ! Il faut y voir plutôt l’ouverture d’un processus de responsabilisation de nos concitoyens.

Un processus déjà largement engagé

Mais ce processus est déjà largement engagé :
Les citoyens paient sur leurs salaires des cotisations d’assurance maladie et même un impôt, à savoir la contribution sociale généralisée (CSG) ; ils paient aussi des assurances et mutuelles privées ; en termes de responsabilités des usagers, ce n’est pas mince.
Contrairement à ce que certains peuvent penser, ils usent du système de soins dans le cadre d’une série de lois et règlements : tous les soins ne sont pas admis au remboursement, et quand ils le sont, le taux de remboursement est le plus souvent partiel en dehors du régime des affections de longue durée ; et enfin, les restes à charge ne cessent d’augmenter.
Nos concitoyens ne retiennent pas non plus leur générosité : selon une étude récente de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) du ministère de la Santé et de la Prévention, pas moins de 9, 3 millions de personnes apportaient en 2021 une aide régulière à un proche en situation de handicap ou de perte d’autonomie. Selon une autre étude, déployée en 2022 par l’institut BVA, la France compterait environ 15 millions d’aidants familiaux, soit un Français sur cinq, si l’on intègre la maladie comme motif de mobilisation des aidants.
L’aide moyenne des aidants étant valorisée à 120 euros mensuels, on voit assez bien ce que cela apporte au système de santé s’il devait assurer cette aide de proximité : 21 milliards d’euros.

Pouvons-nous aller plus loin encore et réclamer plus de responsabilisation des citoyens ? Sans doute. Avec quelques efforts, dont certains déjà initiés réclament d’être poursuivis :
Si l’information du citoyen s’est améliorée avec la mise en place des services ameli.fr et sante.fr, il y a encore des progrès à accomplir au cœur de la relation médecin-malade, comme en témoignent les patients dans leurs écrits et témoignages publiés dans des livres, des journaux ou sur les réseaux sociaux : pourtant garantie par la loi de 2002, la décision partagée entre le médecin et son patient est loin d’être au rendez-vous de leurs attentes, estiment-ils.
L’accompagnement des patients et de leurs proches est trop souvent défaillant alors qu’il est si nécessaire pour les soutenir dans l’exercice de leurs responsabilités à l’égard d’eux-mêmes et du système de santé.  Aucun texte n’est venu donner corps aux actions d’accompagnement prévues au code de la santé publique. Le rapport d’évaluation des projets expérimentaux d’accompagnement à l’autonomie en santé a été remis au Parlement sans que nul ne sache si ces expérimentations seront généralisées. Et si l’Assurance maladie conduit de son côté quelques actions ciblées, notamment sous le label Sophia, le droit à l’accompagnement des patients et de leur entourage n’est toujours pas reconnu, alors que des plates-formes d’accompagnement liées à l’industrie pharmaceutique, d’une part, et des coachs privés sans aucun cadre de référence, d’autre part, accomplissent une sorte de « privatisation » d’un accompagnement en santé que notre pays tarde vraiment trop à instituer. Nombre d’associations sont pourtant prêtes à mettre en place de tels programmes ou centres d’accompagnement.
Comme l’a reconnu un avis récent de la Haute autorité de santé, le renforcement de la reconnaissance sociale des citoyens qui s’impliquent dans le système de santé pour en améliorer la qualité est aussi attendu par ceux qui manifestent leur responsabilité à l’égard du système en s’impliquant dans son fonctionnement.

Christian Saout