Des aidants familiaux qui ne se ressemblent pas

La plupart d’entre nous ont aidé un proche malade, handicapé ou vieillissant pour les routines de la vie quotidienne, mais aussi par un soutien moral, matériel ou financier. C’est un soin (care) traditionnel dans le cadre de la famille. Le rôle méconnu des aidants est primordial pour la santé et le maintien à domicile d’un grand nombre de personnes en perte d’autonomie. Mais quand l’« aidance » prend une place prépondérante dans la vie, cela n’est pas sans conséquences et peut impacter gravement la vie sociale et la santé de l’aidant .

Pas de véritable statut

Le nombre d’aidants ne fait qu’augmenter en raison de la démographie et de la modification des structures familiales. Selon une enquête récente de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), ils seraient 9,3 millions dont un demi-million de mineurs. Un quart des personnes entre 60 et 65 ans déclarent apporter une aide régulière. Des données analogues sont rapportées dans d’autres pays. Leur contribution importante et les risques que les aidants prennent eux-mêmes et pour leur entourage en font une question importante de santé publique. Et si la société commence à reconnaître cette contribution, beaucoup reste à faire pour leur proposer des solutions et faciliter leurs actions, ce qui passe par la reconnaissance du statut d’aidant.

La première mention de la notion d’aidant date de la loi de 2005 « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ». La loi « hôpital patients santé et territoires » (2009) confie la question des aidants à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (Cnsa). En 2010, le mouvement se structure en association pour la Journée nationale des aidants le 6 Octobre, puis devient le collectif Je t’Aide. En 2015, la loi « Adaptation de la société au vieillissement de la population », portée par Marisol Touraine, donne une définition légale des aidants, mais limitée à ceux de personnes âgées. En 2020-2022, la stratégie nationale « Agir pour les aidants » engage les entreprises à agir pour leurs salariés aidants dans le cadre des critères de négociation et de la responsabilité sociale des entreprises (RSE). La nouvelle stratégie « Agir pour les aidants 2023-2027 » propose une série de mesures dans une charte d’engagement en faveur des aidants signée avec quinze entreprises et les associations.

La maladie grave, accompagnée d’une perte d’autonomie a des répercussions pour la personne concernée et son entourage immédiat. Les impacts sont différents selon la situation et la disponibilité de l’aidant, ses relations avec la personne nécessitant une aide, l’environnement (urbain, rural, par exemple), mais aussi en fonction de critères culturels et subjectifs comme l’âge, l’historique familial, les relationnes intrafamiliales, les capacités émotionnelles, etc. Voici trois exemples en fonction des liens familiaux : l’aide entre conjoints, la situation d’un parent d’enfant malade, et le rôle méconnu des jeunes aidants.

L’aide entre conjoints 

Salariés ou retraités, ce sont les plus nombreux et les mieux identifiés. Les actifs aidants ont été l’objet et le sujet d’une étude récente d’Anne-Sophie Bouttier-Ory et Anne Petiau (2023). Il s’agit surtout de femmes mais « L’aide pose la question du genre, même si la proportion entre les femmes et les hommes a tendance à s’équilibrer ». Les premiers effets de la perte d’autonomie sont une « modification brutale du temps et un accroissement de la charge mentale », en particulier quand l’aidant travaille. Sont cités particulièrement : l’organisation du temps du travail, le sommeil « fatigue chronique et trop plein de charge mentale génèrent un grand stress », « irritabilité, colère, mise à l’épreuve constante des capacités émotionnelles de ces personnes ».

Concilier vie privée et vie professionnelle

L’adaptabilité récurrente du temps de travail est la demande la plus forte des salariés aidants qui jonglent en permanence avec leurs diverses obligations. Ce qui évidemment impacte leur vie et leur engagement professionnel : « L’absentéisme n’a pas les mêmes conséquences individuelles et collectives que le présentéisme. »
Cette vie d’aidant a aussi des effets positifs, en particulier la valorisation et le développement d’aptitudes personnelles qui seront mobilisables dans d’autres univers, notamment dans celui du travail : « empathie, bienveillance, résistance au stress, capacité décisionnelle, efficacité, intelligence émotionnelle, résolution de problèmes complexes, capacité d’organisation et de coordination ». 72% des aidants salariés valorisent cette double activité, le travail étant aussi une source de « répit et de protection ». Ils vont en majorité « développer des stratégies de conciliation entre les deux ». La conciliation vie privée/vie professionnelle est un des éléments d’analyse du climat social dans les entreprises (via la qualité de vie et des conditions de travail, QVCT, et la RSE). Il semble que la stratégie nationale « Agir pour les aidants 2020-2022 » ait eu quelques impacts, en particulier dans le secteur public et celui des grandes entreprises.

Cependant, ces contraintes souvent brutales peuvent avoir des effets sur la progression de carrière et le salaire. « La crainte de discrimination est souvent citée comme frein à l’expression des situations sur les lieux de travail en particulier avec leur management. » Les salariés des grandes entreprises et de la fonction publique ont accès à des dispositifs spécifiques (conventions et/ou accords collectifs, système de prévoyance …) auxquels n’ont pas accès les salariés des petites et moyennes entreprisse, les commerçants et artisans, les artistes…

Beaucoup de si…

Si des progrès réels ont été faits depuis les années 2000 dans la reconnaissance du statut d’aidant, les compensations financières existantes pour soutenir leur engagement restent difficiles à obtenir, peu connues et loin du compte. Comme pour cette jeune femme dont le handicap psychique important entrave fortement la vie quotidienne. Cela a conduit son compagnon à travailler comme auto-entrepreneur à domicile pour pouvoir s’occuper d’elle. Ils ont sollicité une allocation journalière de proche aidant auprès de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH), mais la personne qui est venue à leur domicile ne paraissait pas comprendre la question du handicap psychique et s’est concentrée sur l’accessibilité de la baignoire… Ce qui s’est traduit par la reconnaissance d’un besoin d’aide estimé à 45 minutes par jours, compensée par une allocation de cinq euros de l’heure, soit une centaine d’euros par mois. Cherchez l’erreur !

En conclusion, les progrès attendus pour que les aidants familiaux salariés ou retraités puissent exercer plus sereinement ce rôle quand ils l’ont choisi sont encore insuffisants. Une immense solitude est souvent leur expression, même si cette étude récente met en valeur le rôle des soutiens associatifs et des liens sociaux… qui peuvent être mobilisés si les personnes en ont connaissance et si elles vivent dans un territoire où ces soutiens sont mobilisables… Beaucoup de si !

L’aidant, parent d’un enfant malade

La situation des parents d’enfants atteints d’une maladie ou d’un handicap est plus difficile à gérer, et impose souvent des choix très impactants pour les salariés concernés, le plus souvent les mères, encore aujourd’hui. Le télétravail (pas étudié dans l’étude citée) ouvrirait peut-être un peu plus de possibles à ces aidants homme ou femme (majoritairement aujourd’hui les femmes). L’augmentation du nombre de familles monoparentales induit aussi une plus forte mobilisation des femmes lors de la maladie ou de l’installation d’un handicap d’un enfant. Sidération, solitude, angoisse, apprentissage, sont les mots qui qualifient le mieux ces parents aidants. Selon le plaidoyer pour les aidants édité par le collectif Je t’Aide, l’accompagnement d’un enfant handicapé conduit 40% des femmes à cesser leur activité professionnelle (ce n’est le cas que de 5% des pères).

Un parcours du combattant

La dernière stratégie de mobilisation et de soutien 2023-2027 prévoit d’améliorer le congé proche aidant et l’allocation journalière (AJPA). L’ouverture de la Validation des acquis de l’expérience (VAE) aux aidants et la mise en œuvre de l’Assurance vieillesse des aidants (AVA) devraient soutenir les personnes contraintes d’interrompre leur activité pour s’occuper d’un proche, en particulier d’un enfant ou d’un jeune. La réalité est un parcours du combattant pour ces parents. Difficile de s’y retrouver dans les aides et soutiens existants. Selon la maladie ou le handicap, les solutions matérielles sont différentes.

En cas d’installation d’un handicap, sa reconnaissance suppose du temps, pendant lequel la famille est très seule face aux médecins et divers intervenants médicosociaux qui n’ont chacun qu’une connaissance partielle et professionnelle du sujet. Les associations de parents sont essentielles, mais le plus souvent, les familles mettent du temps pour rentrer en contact avec elles, quand cela est possible car l’ensemble du territoire français n’est pas couvert, sauf par certaines grandes associations (APF, Apajh, Unafam, Unapei…). Des sites Internet associatifs permettent aussi aux parents de s’orienter et de trouver informations et soutien : Pour les familles, et plus spécifiquement Enfant différent, par exemple.

Le constat d’un manque d’établissements pour certains handicaps lourds ou maladies rares est partagé, de même que les disparités territoriales dans l’accès aux droits et à un accompagnement à la mesure du handicap ou de la déficience de l’enfant.

Les jeunes aidants

Ils font l’objet d’une reconnaissance spécifique depuis peu de temps. En 2019, pour la première fois en France, les jeunes aidants ont été reconnus à travers la stratégie de soutien « Agir pour les aidants ». « En France, ils sont les grands invisibles, notamment de services de santé. Pourtant, ces enfants et ces adolescents apportent une aide significative et régulière à un proche avec une maladie ou en situation de handicap. Ils soutiennent le plus souvent un parent, un frère ou une sœur ou un grand-parent» Ces activités ont un impact sur la scolarité, la vie amicale et sociale de ces jeunes. Pourquoi la France est-elle en retard dans cette reconnaissance ? Les auteures mettent en valeur le Royaume-Uni qui semble plus en avance. Une association française, Jeunes aidants ensemble (JADE), est très active à la fois pour accompagner la reconnaissance des réalités que vivent ces jeunes et pour répondre à leurs besoins spécifiques.

3 à 4 jeunes par classe

Là encore, la couverture territoriale est davantage limitée que pour les adultes. Les moyens dédiés, services médicaux et sociaux de l’éducation, ne permettent pas d’assurer accompagnement et soutien absolument utiles et nécessaires. Donc les jeunes, et encore plus les enfants, se débrouillent. Mené par Aurélie Untas et ses collaborateurs au sein du Laboratoire de psychopathologie et processus de santé (UR 4057) de l’université Paris-Cité, le programme de recherche JAID (« Recherche sur les jeunes aidants »), lancé en 2017, a montré que sur un échantillon de 4 000 lycéens, 43% avaient un proche malade et 14,3% étaient en situation d’aidant, soit 3 à 4 jeunes par classe. Selon d’autres études centrées sur la connaissance de ces réalités par les professionnels de santé et de l’Éducation nationale, celles-ci sont largement ignorées et donc peu prises en compte. Des travaux internationaux montrent que des situations d’aidance auraient été identifiées dès l’âge de 5 ans.

Des premiers programmes de sensibilisation des professionnels de l’Éducation nationale ont été expérimentés en 2022 par l’équipe du Laboratoire de psychologie de Paris-Cité. Un guide de sensibilisation en milieu scolaire réalisé dans le cadre du programme JAID a notamment été publié en 2024. Mais il reste beaucoup à faire.

Geneviève Crespo et Agnès Roby-Brami

Études et résultats n°1255, Drees (février 2023)
« Burn-out et fardeau des aidants : de quoi parle-t-on exactement ? », Valerie Bergua, Michèle Koleck, Pierre Gérain, The Conversation (12/01/2025).
« Les actifs aidants : synthèse des connaissances et des pratiques existantes en France et à l’international », Anne-Sophie Bouttier-Ory et Anne Petiau. Dossier documentaire, FIRAH (Recherche sur le handicap, 2023).
« Le manque de reconnaissance des jeunes aidants », Aurélie Untas et Géraldine Dorard, The Conversation (2022).