Claude Got est mort, en plein mois d’août. Il est allé mourir en Belgique puisque la France rechigne toujours à autoriser l’aide médicale à mourir.
Claude Got nous l’avait toujours dit : il ne laisserait à personne le soin de décider du moment de sa mort. Sa femme, qu’il adorait, était décédée quelques mois auparavant. Deux de ses filles aussi, atteintes d’une maladie génétique. Et il avait aidé ses parents à mourir.
Claude Got avait 85 ans, et nous l’aimions. Nous aimions ses combats, sa ténacité, sa générosité, et surtout son goût de la vie alors que des ignorants l’accusaient de vouloir imposer une « société sanitaire », sans plaisirs ni risques, ennuyeuse à mourir.
Cet homme était unique. Il faisait partie de cette rare catégorie de gens qui ont sauvé des vies. Les cigarettes estampillées « Le tabac tue », comme cet air du temps qui a transformé les chauffards en assassins de la route, c’est un peu lui. Il a été de tous les combats de santé publique des trente dernières années, se battant patiemment contre toutes ces « catastrophes en miettes », ces malheurs collectifs qui passent à l’as, faute de susciter des mouvements d’opinion. Il n’a jamais arrêté, toujours à l’affût, pestant contre ceux qui tentent toujours d’amender la loi Evin car, disent-ils, « elle porterait atteinte à notre bon vin du terroir », et surtout contre ceux qui cassaient la limitation de vitesse à 90 km/h, furieux contre ceux qui se retranchaient derrière le mauvais argument présidentiel « arrêtons d’emmerder les Français ».
Oui, nous l’aimions. Non seulement à cause de ces pull-overs immettables que sa femme lui a toujours tricotés. On l’aimait à cause de son visage si particulier, des gueulantes innombrables qu’il a poussées, des portes qu’il a si souvent claquées, on l’aimait surtout parce qu’il a été un grain de sable indispensable dans le paysage sanitaire français. « La société est folle, mais cela ne me pose pas de problème particulier. Je suis né dans un hôpital psychiatrique, mon père et mon beau-père étaient psychiatres, mon frère l’est encore. J’ai une forme d’affection pour la déviance, je la crois indissociable de la vie. »
VIF l’avait rencontré il y a un an (Claude Got, le magnifique obsessionnel). En le quittant, nous quittions un homme libre. « J’ai fait très tôt des autopsies. Mon père était psychiatre à Évreux, mais il était paraplégique. Je faisais les autopsies à sa place. C’était naturel, je me disais et je me dis : « On n’a pas pu sauver la vie de cette personne, au moins que l’on sache ce qui s’est passé, si l’on s’est trompé »… » Ajoutant : « Un cadavre, ce n’est pas différent d’un morceau de bois. Ce qui est important, c’est la vie des gens. »
Éric Favereau et François Meyer