Cherche à garder personne âgée ou…

Dame cherche à garder personnes âgées, sortie, repas, compagnie, repassage.
Éventuellement garde d’animaux.

Une petite supérette dans un bourg normand, près du Havre. Sous le comptoir, cette feuille scotchée, genre vieux papier courrier. Le message est bref. Je vois votre sourire au coin des lèvres. Un raccourci immédiat : ou un vieux ou une bête ? Non, pas des équivalents. Car le premier est préféré au second. Cela aurait pu être l’inverse : cherche garde d’animaux, éventuellement personnes âgées. Il faut donc bien lire : à défaut. À défaut de personnes âgées…

Et pourtant, il y a deux fois « garde ». Et l’animal, lui aussi, a besoin de sortie, repas, compagnie… pas encore de repassage. Mais y a-t-il une si grande différence dans l’esprit du scripteur entre des personnes âgées et des animaux ? Oui, à n’en pas douter, disons par présomption d’humanité. Pas nécessairement, si l’on considère que les animaux appellent grand soin, repas adapté, compagnie active. Pas du tout, si on parle à son chien comme on parle sa tante.

Le premier choc passé, j’essaie de raisonner. Est-ce que s’occuper d’un vieux c’est plus facile qu’un chien ? Il se peut que l’hypothèse tienne. Une autre hypothèse : un vieux rapporte plus qu’un chien ? Après renseignement, cela n’est pas sûr. Il semblerait qu’un chien en garde à domicile coûte près de cent euros. Et un vieux, me diriez- vous ?
Bah ! Ça dépend de son degré de dépendance. À lire l’article du Monde, « le baluchonnage », un aide à domicile pour permettre à « l’aidant de prendre l’air », ce serait 900 euros jour.
Il n’y a pas photo.

Bon, mais le scripteur n’est pas dans ces tarifs. Admettons que cent euros conviendrait.
Déclaré, non déclaré ?
Nous ne parlons jamais de cette énorme zone grise, ce continent noir des « arrangements » entre vieux et chiens, enfants et chats, handicapés et serpents de mer… Sous les écrans, sous les radars, sous le juridique, sous la morale publique, cette petite annonce griffe le continent des pratiques réelles.

Pratique muette.

Nous avons perdu la vue.

Plus de voir.

Et pourtant, n’est-ce pas cette dame qui « fait tenir la vie » ?

Elle cherche simplement du boulot et n’en trouve pas.

Jean-François Laé