La maison a été reconstruite il y a un peu plus de cent ans, au lendemain de la Grande Guerre ; elle avait été incendiée par l’armée allemande – l’ancienne frontière de 1870 est encore visible à un kilomètre. La bâtisse, comme la chapelle, bien que lézardée par endroits à la suite de diverses secousses sismiques, tient bon.
La forêt qui l’entoure a elle aussi connu ses catastrophes ; lors de la tempête de décembre 1999, près de de 80% des arbres avaient été abîmés ou déracinés. Les plus vieux, les gros bois comme on dit ici, n’avaient pas supporté cet énorme coup de vent. Ils étaient à terre. Cet été, ce sont les plus jeunes qui ont pris, le soleil a, au fur et à mesure des semaines, grillé leurs cimes, les sapins noirs sont devenus orange. Les plus vieux arbres semblent avoir mieux supporté cette sècheresse.
Ma mère, lors de ses deux séjours ici cet été, les a regardés comme des vieux camarades. Elle entretient avec eux depuis plus de 90 ans une complicité étrange. À l’arrêt du train à la petite gare la plus proche, où elle a l’habitude de descendre depuis les années 1930, elle n’a pu ouvrir la porte du wagon, trop lourde ; elle a dû attendre l’arrêt suivant et l’aide du contrôleur. Mais une fois arrivée là, au milieu des arbres, ces tracas du quotidien, ces « contrariétés » qui la mettent chez elle en colère contre elle-même s’effacent. Au milieu des arbres – elle ne dit jamais « mes arbres », elle sait qu’ils lui survivront –, elle est en paix ; nul besoin désormais de monter sur le plateau, elle les regarde de la prairie. Elle et eux vivent à leur rythme, une forme de lenteur qui désarçonne parfois, les mots sont inutiles, il faut juste écouter le vent dans les feuillages, le bourdonnement d’un insecte. S’y accorder.
Celui ou celle qui est témoin de cette singulière complicité, encore faut-il y prêter attention, éprouve une émotion d’une rare intensité, l’impression de partager un instant, grâce à la présence de ces vieux arbres, un peu de ce que vieillir veut dire.
Philippe Artières