C’était un toit qu’il me fallait. Après, je savais que j’allais avancer

Après des années d’errance entre rue et foyers, entrecoupées de séjours en hôpital psychiatrique, ou l’inverse, Virginie a réussi à se poser et à stabiliser traitement et prise en charge grâce au dispositif Un Chez-soi d’abord à Marseille. Aujourd’hui âgée de 47 ans, elle raconte cette « renaissance » qui aura finalement pris plus de trente ans.

À 9 ans, je fumais des joints, à 11 ans, je tapais l’héro, à 13 ans, j’étais dans la shooteuse. À l’âge de 15 ans, je rentre en psychiatrie pour la première fois, jusqu’à ma majorité, à 18 ans. Ma mère signe, me met en placement d’office pour ma toxicomanie, elle croyait que j’allais m’en sortir. Elle a écouté les médecins, elle ne savait plus comment faire, j’avais déjà fait des overdoses, elle avait peur de me perdre. Elle ne pouvait pas savoir. Moi qui n’avais jamais pris un médicament, ils m’ont rendue accro aux médicaments.

Ma maison, c’était l’hôpital psychiatrique

J’avais 15 ans et demi, je suis rentrée directement chez les majeurs alors que c’était à partir de 16 ans. C’était dans les années 1980, et c’était carrément hardcore. Comme j’étais violente, ils m’ont attachée six mois dans un lit, j’avais des escarres, ils me donnaient à manger à la petite cuiller et ils me mettaient le bac pour faire mes besoins. Et quand ils m’ont levée du lit, je suis tombée comme une lavette, je ne tenais plus sur mes jambes. Ils m’ont donné des médicaments qui ne sont même plus dans le Vidal, j’étais zombie, on m’a assommée pour ne pas que je bouge. Je n’étais qu’avec des vieux, je suis devenue la pro des Scrabble.

Je suis sortie à 18 ans mais comme j’avais été enfermée H24 à l’hôpital, j’avais peur de la vie dehors. Ma maison, c’était l’hôpital psychiatrique, je faisais des va-et-vient. Tentatives de suicide, overdoses…, je vivais en foyer, chez ma mère ou chez ma copine. Après une déception sentimentale, j’ai décidé de me sortir de la toxicomanie, je me suis dit qu’il fallait que je parte parce que sinon, ce serait la prison ou entre 4 planches.

Je suis arrivée à Marseille en l’an 2000, et je suis rentrée en appartement thérapeutique en quinze jours parce que ma demande a été prise en compte rapidement. J’ai connu Shérazade, on a vécu cinq ans ensemble dans un appartement thérapeutique, je travaillais, j’ai mis de l’argent de côté. Il n’y avait plus d’hôpital psychiatrique mais il y avait quand même un traitement. Shérazade est morte, elle a fait un arrêt cardiaque en dormant. Appartement scellé, je me retrouve une main devant, une main derrière, et en psychiatrie. Rebelote. Ils sont venus me chercher avec les pompiers, j’étais obligée d’y aller. Je me suis sauvée de l’hôpital et je suis retournée voir ma psy en lui disant que ce n’était pas ça qu’il me fallait. J’étais une pharmacie ambulante, je n’avais aucune limite, j’étais morte de chagrin. Et j’avais la rage envers l’État.

La chance était avec moi

À partir de là, j’ai été en foyer dans un centre d’hébergement pour femmes seules, j’ai trouvé du travail, et grâce à l’argent mis de côté, j’ai décidé de prendre un petit studio. Mais j’étais encore fragile. J’ai quand même tenu deux ans, mais j’ai été renversée par un camion sur un passage piétons. Quand je me suis réveillée à l’hôpital, plus personne autour de moi, j’étais seule. Ma psy m’a alors parlé de l’expérimentation mise en place par Un Chez-soi d’abord en me disant « parce que toute seule, tu n’arriveras pas à avancer comme tu veux ». Elle a envoyé ma candidature, j’ai eu un entretien et j’ai tiré la bonne enveloppe*. La chance était avec moi…

Au départ, tous les éducateurs passent te voir de temps en temps, il n’y a pas de référent attitré. On voit toute l’équipe (éducateurs, infirmières, psychologues, psychiatres, directeur, travailleurs-pairs…), mais ce qui est génial, c’est que c’est à ta demande. Il n’y a pas de contraintes, pas d’ordres, tu as les clés de ton appartement, ils ne peuvent pas rentrer si tu n’es pas là. Tu peux parler avec eux, ils sont à l’écoute, ils peuvent t’accompagner pour faire les courses, aller voir le médecin… Si tu as un problème, tu vas les voir et il y a toujours une solution à trouver pour que tu sois plus apaisée.

Il n’y a pas d’obligations mais il faut quand même donner des nouvelles, si tu es rentré dans la structure, c’est que tu as besoin d’eux. Ils ne m’ont pas trop poussée, pas trop secouée, ils m’ont laissée avancer à mon rythme, m’ont orientée. Des fois j’allais, des fois je n’allais pas, je leur disais et ils étaient là pour améliorer les choses. Moi, j’ai refait mes papiers, ma santé, mes dents, etc., parce que j’étais vraiment dans la déchéance. Je me laissais mourir, je n’ai pas supporté le deuil et même maintenant, c’est encore dur pour moi.

Ils t’aident à remplir les papiers, mais c’est à toi de les amener où il faut. Si tu ne ramènes pas ton dossier, il ne sera jamais fait. J’ai dû repartir à zéro et travailler sur tout ça. Si je ne l’avais pas fait, je n’aurais pas eu cet appartement. Trois ans et demi après mon entrée chez Un Chez-soi, je suis devenue titulaire de mon bail. Parce que j’ai avancé. C’était un toit qu’il me fallait, après, je savais que j’allais avancer.

J’ai pris les outils qu’il fallait

Je ne suis plus allée à l’hôpital psychiatrique pendant quatre ans, mais j’ai un traitement à vie, une piqûre une fois par mois. Je vois ma psy une fois par mois pour le traitement, elle me fait mon ordonnance, je vais chercher mon traitement à la pharmacie et une infirmière libérale vient chez moi pour me faire l’injection. J’ai ma mutuelle, tout est en place.

Maintenant, je me gère. Je ne vais pas dire que j’y arrive à 100%, mais je pense d’abord à remplir mon frigo plutôt que d’aller chercher de la drogue. Avant, toute ma paye partait dans la drogue, je me foutais du reste. Maintenant, je m’occupe d’autre chose, je ne traîne pas dans les rues, ça ne me dit plus rien, je fais plein de choses qu’avant je ne faisais pas et que je découvre. Avant, je ne faisais pas attention à tout ça, je ne voyais que le fric, l’amusement et la drogue.

J’ai évolué, tout me paraît bien, mon suivi se passe bien, j’ai repris contact avec ma famille, j’ai plus de goût à vivre. Ma mère voit ça comme une renaissance, elle voit sa fille renaître. Le passé ne resurgit pas, on n’est plus qu’au présent et au futur, il n’y a pas de reproches. Maintenant, les liens sont forts, elle m’appelle toutes les semaines ou elle m’envoie un petit message et ça me donne la force de m’en sortir parce que je ne suis pas seule. J’avais tout perdu et je récupère tout ça, et ça me fait vachement de bien. J’ai plus confiance en moi, je n’ai plus peur, plus de doutes, je suis capable et je suis rentrée dans la société. Je ne suis plus exclue.

Un Chez-soi d’abord, pour moi, ça a été tout bénef. J’ai pris les outils qu’il fallait, ce qu’ils pouvaient me donner et j’ai avancé. Je voulais m’en sortir. Maintenant, je suis bien, il ne me manque plus qu’un boulot. J’ai fait Working First pendant quatre ans mais après, tous les entretiens que j’ai eus, ça ne passait pas. Avec la reconnaissance handicapé, automatiquement, ils savent que tu as un problème. Et déjà qu’il n’y a pas de boulot pour les gens normaux, pour nous, il y en a encore moins. Je suis rentrée dans une case, je ne sortirai plus de cette case, je sais que maintenant, ma vie sera comme ça. Depuis l’âge de 15 ans, je suis rentrée dans leurs cases.

Je ne lâche pas

Mais il y a aussi beaucoup d’autres choses dont on ne parle pas, comme les factures d’hôpital. Comme on ne gérait pas notre vie, on ne s’en occupait pas, on n’a pas payé et maintenant, toutes les factures arrivent du Trésor Public. Jamais tu ne t’en sors, en fait. Tu es bien, tu es dans un appartement, tu vis mieux, et boum ! Alors les gens qui sont encore fragiles craquent, parce que c’est difficile de surmonter tout ça.

J’ai lâché prise pendant onze ans, je suis partie de la société pendant des années, je suis perdue et j’ai peur, peur qu’on ne me comprenne pas. J’angoisse, j’ai les mains moites, je me rends malade. Mais je ne lâche pas, je suis forte. Je suis bien, je suis tranquille, pas énervée, je suis posée chez moi, c’est mon petit cocon.

Un Chez-soi ? Je ne veux pas les lâcher, bien qu’ils ne voient plus ce qu’ils peuvent m’apporter. Si je me fais hospitaliser, qui viendra chercher mes habits chez moi ? Ils ont les clés de mon appartement, si j’ai un gros problème, je peux compter sur eux. J’ai confiance en eux, il n’y a qu’à eux que je peux demander cette aide, je sais qu’ils sont là pour moi. Je suis plus apaisée, moins angoissée de savoir que je ne suis pas seule. Si ça s’arrête, je panique.

Recueilli par Isabelle Célérier

* Un Chez-soi d’abord étant alors toujours en phase d’expérimentation, les candidats étaient tirés au sort.

Apporter de nouvelles réponses pour l’accès au logement et aux soins des personnes sans-abri souffrant de troubles psychiques importants ayant ou non des problèmes d’addiction : tel est l’objectif du programme Un Chez-soi d’abord. Développé dès les années 1990 aux États-Unis (Housing First), il propose un accès direct au logement aux personnes atteintes de pathologies mentales sévères et échappant aux dispositifs classiques, grâce à un accompagnement soutenu et pluridisciplinaire au domicile. Expérimental d’avril 2011 à décembre 2016 dans quatre villes de France (Lille, Toulouse, Paris et Marseille), il a depuis été pérennisé par un décret qui prévoit son déploiement sur seize nouveaux sites d’ici 2022.