
Il y a eu du monde, beaucoup du monde, peut-être autour de 5 000 personnes qui sont venues au Contre-salon des vieux et des vieilles qui s’est tenu à Bordeaux du 26 au 28 septembre. Une foule disparate de cheveux blancs, aux deux tiers féminine. C’était vivant, gai, les participants étaient ravis, détendus, allant d’une séance plénière à un atelier, ou bien tournant en rond en bas du vieux marché des Douves et s’arrêtant dans les stands d’associations.
Tout dire et ses pas de côtés
Un moment inclassable. Nul propos historique n’a été pourtant tenu, mais le plaisir d’être ensemble, de débattre de thèmes qui importent, comme la fin de vie, la mobilité, le corps, le logement, les inégalités, les rides, le plaisir, les minorités, bref, la vie. « Notre but ? Se différencier des salons des seniors qui fleurissent un peu partout, où vous pouvez acheter le rehausseur de toilettes ou la croisière merveilleuse », raconte Francis Carrier, l’un des fondateurs en 2021 du Conseil national autoproclamé de la vieillesse (CNaV, à l’origine de ce contre-salon), qui insiste : « Le vieux n’est pas un client, mais un citoyen, un individu. »
Un contre-salon, donc. Et ce sont beaucoup de retraités, actifs surtout, ceux que l’on voit marcher avec sérieux dans les rues, cheveux courts et bâtons à la main. « Ce qui m’a frappé, c’était que c’était très tolérant, aucune agressivité entre les personnes, même quand elles défendaient des propos divergents », nous dit encore Francis Carrier. Et ce fut exact, car on pouvait tout dire et son contraire, comme affirmer que la vieillesse n’existait pas (dixit le philosophe Didier Martz, auteur de Vieillir comme le bon vin) ou que ce n’était quand même franchement pas très drôle de perdre son autonomie. Le rédacteur en chef de Vieux, la revue très showbiz, pouvait mettre en avant la phrase de Woody Allen – « Chez tous les vieux, il y a un jeune qui sommeille » –, une formule certes amusante, mais à l’inverse de ce que défend le CNaV, qui met en avant la singularité des vieux et des vieilles avec pour slogan « Rien pour les vieux sans les vieux ».

Des dizaines d’initiatives
Pendant ces trois jours, ce fut donc une balade autour de plein de sujets. Les Ehpad en ont pris pour leur grade ; un impôt nouveau a été voté dans un atelier, sur une idée de Véronique Fournier (une des fondatrices du CNaV) qui défend le principe d’une solidarité financière entre vieux riches et vieux pauvres pour payer le coût de la dépendance. « Deux millions de personnes âgées vivent sous le seuil de pauvreté », a rappelé une des intervenantes lors d’une table ronde autour de la précarité, faisant un pied de nez à ceux qui pensent que tous les vieux sont aisés. Ajoutant ce conseil : « Si vous êtes vieux et que vous avez des grosses difficultés pour boucler votre fin de mois, surtout payez votre loyer plutôt que le gaz et l’électricité, car sans logement, c’est la précarité qui arrive et on en sort de plus en plus difficilement. » Autre chiffre à faire frémir : 750 000 personnes âgées vivent en situation de « mort sociale » en France, selon le tout dernier baromètre 2025 des petits Frères des pauvres
Bien sûr, on a longuement discuté de « où vieillir ». Ainsi les logements alternatifs (inclusifs, solidaires, intergénérationnels, etc.) ont été largement évoqués, tous ayant le vent en poupe avec beaucoup d’initiatives locales mais de fait peu de réalisations tant il faut de l’énergie et du temps pour arriver à finaliser un projet. On a entendu des dizaines d’initiatives de vieux (plutôt des vieilles) réalisant des choses remarquables, et on se demandait pourquoi au final, cela ne bougeait pas plus. Sur la fin de vie, on a écouté des gens étonnants, dont des jeunes. Une table ronde tonique s’est tenue où l’on a évoqué les cafés mortels, un festival de la mort lancé par des jeunes. « Les jeunes ont du recul. Est-ce à cause des années Covid ? », s’est demandé Elsa Walter, une jeune écrivaine1 aujourd’hui chargée de la com dans une entreprise de pompes funèbres. « Les jeunes se posent plus de questions sur l’après, ils vivent en direct sur une planète qui pourrait mourir et cela les pousse à s’interroger. »
Lors de l’atelier « La vieillesse des minorités », Jean-Luc Simon, vice-président du Groupement français des personnes handicapées, a tenu des propos iconoclastes : « Nous, les handicapés, on est habitués à être obligés de s’adapter. Alors, s’adapter à la vieillesse, cela ne m’inquiète pas, on sait faire. » Et ce responsable de nous donner un conseil de bon aloi. « Méfiez-vous des aidants, ils sont là, omniprésents, ils veulent votre bien, c’est bien gentil mais ce n’est pas toujours ce que l’on veut. » En concluant par cette recommandation : « On devrait faire des formations plutôt à destination des aidés, pour leur apprendre à se défendre quand les aidants vous entourent trop. »
Bizarrement et heureusement, il y a eu peu de stars. Marie de Hennezel est venue faire un tour et parler de son livre : « C’est l’isolement qui tue, alors que la solitude est au cœur de l’homme. » Ou encore : « J’aimerais protéger ma solitude jusqu’à la fin de mes jours. » Des engagements ont été parfois lancés : « Il faut innover pour les politiques de la vieillesse, car nous sommes pris en tenaille. D’un côté, il faut se battre contre l’État qui veut dépenser le moins possible. Et de l’autre côté, il y a le secteur privé qui veut gagner des sous. »
Au final de ces trois jours, voilà une foule heureuse, toute surprise devant cette bonne surprise qu’elle avait créée, toute surprise que quelque chose se passe, et que cela marche, sans trop savoir quel chemin prendre si ce n’est celui de faire groupe.
Éric Favereau
1) Autrice de À vous je peux le dire : écouter les mots de la fin, Flammarion