Marie Geoffroy a une voix que l’on pourrait croire hésitante. Mais non, elle ne lâche rien, et elle suit son fil comme d’autres son cours. Marie Geoffroy est une militante depuis le début, en 2008, d’Old’Up, cette magnifique association qui se bat pour défendre l’autonomie des vieux. Et là, ce 18 novembre, dans la grande salle de mariage de la mairie du Xe arrondissement de Paris, elle intervient au colloque du CNaV (Collectif national auto-proclamé de la vieillesse) sur la mobilité et les vieux, sur le thème : « Comment mieux adapter la société aux difficultés de mobilité des personnes vieilles ? »
Marie Geoffroy sait de quoi elle parle. Longtemps formatrice pour les organisations syndicales, elle a 83 ans, vit en grande banlieue. Et il lui a été demandé de décrire ou de pointer les difficultés de bouger quand on est vieux et que l’on vit en Île-de-France. Alors tout simplement, elle raconte, égrène sa journée. Et tout simplement, elle commence par chez elle. « Le premier problème, nous dit-elle, c’est ce que l’on appelle la mobilité verticale, c’est-à-dire de monter et descendre. Il y a toutes ces personnes qui vivent dans des pavillons, souvent dans de vieux pavillons, la chambre est à l’étage, et elles n’ont pas beaucoup d’argent, souvent, pour faire des travaux. Mettre la chambre au rez-de-chaussée ? Certes, mais la personne âgée peut alors perdre ses repères. » Il y a bien sûr, et surtout, toutes celles et ceux qui logent dans des immeubles. On estime que « 20% de ces immeubles ont été construits après 1995, une bonne partie n’ont pas d’ascenseurs, ou alors de vieux ascenseurs qui s’arrêtent entre deux étages. Ce n’est pas pratique, je ne parle pas des ascenseurs en panne… Même s’il y a eu beaucoup de progrès, certains ascenseurs peuvent ne pas marcher pendant plusieurs semaines. Et le vieux reste seul, ne sort pas. » Et Marie ajoute : « La mobilité, ce n’est pas simplement se déplacer, ce sont des liens. Il y a eu des progrès, les pouvoirs publics ont été alertés, des tours ont été détruites… Les ascenseurs ont un trafic très important, on le prend pour les poubelles, les courses, autrement vous êtes comme en prison. »
Bon, passons. Nous voilà dehors. « Quand on sort, la plupart dans les coins pavillonnaires, les autobus il n’y en pas, ou ils sont loin. Les rues sont trop étroites, il y a peu de transports, ils sont souvent obligés d’avoir une voiture… Et quand ils marchent, il y a plein de dangers. Souvent les rues sont déclinantes, ou il y a le danger avec les racines des arbres qui soulèvent le bitume… » Et ce n’est pas tout. « En grande banlieue, il y a des vélos, beaucoup de vélos. Les zones pour les uns comme pour les autres sont mal identifiées. Souvent, on met le passage des piétons du côté de la route. C’est dangereux… »
Marie Geoffroy est intarissable sur les mille et un petits tracas, quand l’âge vient, pour un vieux ou une vieille dans la rue. « Prenez les portes cochères, en bois, elles sont lourdes, et parfois impossibles à pousser. Ou dans les vieux immeubles, il n’y a qu’une seule rampe dans l’escalier. Alors quand vous croisez quelqu’un, cela devient dangereux. » Puis elle passe, dans son intervention, à la question des transports. « Les autobus ? Mais pourquoi s’arrêtent-ils loin de la gare ? Et maintenant, ils ont retiré la barre centrale pour laisser la possibilité de mettre des poussettes. C’est bien, mais nous, on a du mal à se tenir. » Et d’évoquer aussi la bizarrerie, dans les autobus, de ces sièges souvent surélevés, avec deux marches. Puis on arrive, bien sûr, au RER, bondé, avec maintenant des wagons à un étage. « Ils s’arrêtent peu de temps, il faut descendre vite, s’y préparer. » Sans oublier la difficulté des différences de niveaux. « On nous dit attention à la marche, d’accord, mais cela n’empêche pas qu’il y a la marche. » Et Marie Geoffroy continue d’égrener son chapelet des petits et grands dangers dans le transport. « La SNCF, dans les gares, il n’y a plus de siège pour attendre. Dans la mienne, il y en a seulement 6. Et puis, je ne sais qui est cette personne qui a inventé les sièges assis-debout. C’est sans queue ni tête. On nous a dit que c’était pour éviter que les SDF se couchent. Mais nous, on attend où ? Beaucoup de gens se disent que c’est la galère. Beaucoup se disent alors on ne va plus à Paris, c’est trop compliqué. Et donc un train qui a été fait pour relier les gens entre eux, voilà que cela contribue à l’isolement. C’est un comble. »
Éric Favereau